« Sécurité globale », amateurisme total - Lettre politique #34

Laurent Joffrin | 27 Novembre 2020

L’heure n’est plus aux finasseries, aux habiles retraites tactiques, aux comités Théodule chargés de noyer le poisson : il faut d’urgence retirer cette loi « Sécurité globale » qui n’améliore la sécurité de personne et n’a d’autre effet global que de diviser le pays, de jeter le doute sur la police et d’inquiéter les démocrates de tous bords.

Le Premier ministre tente de sauver les meubles en nommant une commission chargée de « réécrire » l’article 24 du texte. Manœuvre désespérée. Il prive du même coup le Parlement de sa fonction de législateur, au grand dam de son président, Richard Ferrand, pourtant lui-même excellence du régime, mais qui ne peut cautionner l’humiliation infligée aux élus. Il est trop tard. Castex minimex n’empêchera pas la manifestation de samedi, dirigée contre loi, mais aux effectifs que décuplera l’indignation légitime causée par les brutalités policières de ces derniers jours.

Écrit avec une truelle sans manche, cet article 24 est désormais moribond. A le lire et le relire, on ne sait s’il est inapplicable (comment prouver la mauvaise intention de celui qui diffuse une image mettant en scène des policiers ?), ou s’il est liberticide, dissimulant une volonté de censurer purement ou simplement les vidéos qui pourraient gêner le gouvernement ou la police. Stendhal admirait la clarté et la concision des articles du code civil. Voilà une leçon bien oubliée : les rédacteurs du texte ont réussi le tour de force d’allier lourdeur et confusion. On se tourne maintenant vers une commission pour réécrire l’article décrié, comme si on tenait mieux la plume à plusieurs. On doute que cela puisse sauver l’affaire. Qu’est-ce qu’un chameau ? Un cheval dessiné par un comité.

Gérald Darmanin, grand avocat de l’article 24, et qui fait profession de pragmatisme, a été trahi par la réalité. Au moment même où il voulait restreindre la diffusion des images tournées pendant les interventions policières, deux affaires sont venues réfuter son discours. C’est précisément grâce à des vidéos diffusées par les réseaux sociaux qu’on a pu connaître les manquements policiers de la place de la République contre les migrants et ceux du 17e arrondissement de Paris contre un producteur de musique. Le gouvernement jure ses grands dieux qu’on aurait pu tourner et diffuser les mêmes scènes une fois la loi entrée en vigueur. Peut-être, mais le doute s’est installé. D’autant que le ministre de l’Intérieur a dû s’appuyer sur elles pour envisager des sanctions envers les policiers fautifs. Il a donc légitimé les mêmes vidéos qu’il montrait jusque-là du doigt. Intenable contradiction. Le reste de la loi est d’ailleurs à l’avenant, qui prévoit à multiplication des drones comme celle des pains dans l’Évangile ou bien donne toutes sortes de pouvoirs aux polices privées. Tout cela est bâclé, mal conçu, mal rédigé, mal expliqué, inquiétant quant aux intentions, lamentable quant aux résultats. On y trouve un zèle répressif inquiétant, un calcul cynique dirigé vers l’électorat conservateur et, pour couronner le tout, un amateurisme confondant. À la poubelle, donc. 

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages