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SOS librairie - La lettre politique de Laurent Joffrin #20
SOS librairie
La Belgique confinée a décidé que les librairies feraient partie des « commerces essentiels » qu’il convient de laisser ouverts. En France, la vente des livres est assimilée à celle des presse-purées ou des coussins-péteurs. Elle est interdite pour cause sanitaire. On a longtemps raconté en France, sur un ton supérieur, des histoires belges. En matière culturelle, ce sont les Belges qui peuvent désormais raconter des histoires françaises.
Il serait sage – et conforme à la tradition – de faire une exception pour les librairies. Cette exception est déjà consacrée par la loi, par exemple à travers le « prix unique » du livre qui a sauvé la librairie française. Même si la dignité et l’utilité des autres commerces sont indiscutables, il eût été avisé de considérer que la lecture, dont on craint le déclin sous l’effet de l’audiovisuel hertzien et des images diffusées en ligne, est un besoin de première nécessité. Au pays des Lumières, en ces temps d’obscurantisme galopant, les nourritures intellectuelles valent bien les nourritures terrestres. Le reste est affaire de protocole sanitaire.
Il est urgent, dès lors, de rouvrir les librairies, sauf à prononcer, pour nombre d’entre elles en tout cas, une condamnation à mort, assortie d’une aide discriminatoire – et scandaleuse – en faveur d’Amazon, entreprise américaine qui échappe pour l’essentiel aux impôts communs. Le géant en ligne a vu ses ventes augmenter de 37% depuis le début de la pandémie et ses bénéfices ont été multipliés par trois, tandis que les libraires ont pour beaucoup cessé de se payer et se demandent maintenant s’ils pourront passer l’hiver du confinement. Au sortir de la crise du Covid, on risque fort de constater qu’Amazon est passée de la position dominante au monopole. Drôle de manière de défendre le livre en France…
Il est tout aussi urgent de réfléchir à plus long terme. Les librairies forment un réseau essentiel à la diffusion de la culture et à l’animation de ces centres-villes en voie de désertification. Si elles souffrent tant, c’est aussi en raison de leur retard numérique. Pour diffuser leurs ouvrages par Internet, sous format numérique ou format papier grâce à la commande en ligne (ou en bon français « click and collect »), encore faudrait-il qu’elles aient un site Internet.
Il ne tient qu’à elles de s’équiper, dira-t-on. D’ailleurs, une plate-forme existe déjà, « Place des libraires », qui permet de commander les livres auprès des quelques librairies référencées. Seulement voilà : les tarifs de livraison sont très supérieurs à ceux d’Amazon, qui a négocié des prix dérisoires avec La Poste grâce à sa puissance : 1 centime d’euro, contre 4,5 à 6,5 euros pour un envoi classique. Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, vient d’annoncer qu’une aide publique permettra de réduire ces tarifs, mais la distorsion de concurrence demeurera, au point de devenir une concurrence déloyale, voire un abus de position dominante.
Alors pourquoi, pendant la période Covid en tout cas, ne pas établir, comme on l’a fait pour le prix unique, une égalité de concurrence totale entre Amazon et les libraires ? Ce qui passe par un plan global de modernisation de la librairie, qui lui permettrait de jouer à armes égales en matière d’équipement informatique comme de tarifs de livraison. L’affaire coûtera de l’argent : c’est sûr. Mais en l’absence d’un tel plan, on risque une décimation du réseau de diffusion des livres. L’Etat économisera un peu ; mais en acceptant la disparition de ces commerçants dévoués à la culture, essentiels à la vie des villes et des villages, la société y perdra beaucoup.