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AstraZeneca : le Macron de Panurge - Lettre politique #72
Dans cette crise propice à tous les fantasmes, à toutes les paniques, à toutes les affabulations complotistes, l’usage de la raison semblait jusqu’à présent la seule manière de surmonter l’épreuve. Non la raison trop sûre d’elle-même des scientistes et des positivistes, mais la raison véritable, qui comporte, à côté de la rigueur nécessaire, sa part d’humilité et de mesure.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Il semble bien que cette boussole, ou cette corde de rappel, au milieu d’émotions confuses et de rumeurs disparates, ait été abandonnée. Le gouvernement français vient d’interrompre soudain l’administration du vaccin AstraZeneca, dont il disait la veille qu’il était, avec les autres traitements préventifs de la Covid, notre seule planche de salut. Avec quelle justification ? Parce qu’une dizaine de décès ont été constatés parmi les patients inoculés en Europe, causés par une thrombose fatale. Signal d’alarme impressionnant, certes, qui suscite une compréhensible inquiétude.
Mais sans négliger une seconde cette dramatique réalité, on doit la rapprocher d’autres réalités, bien plus alarmantes. Quelque cinq millions de patients européens ont reçu depuis Noël le vaccin AstraZeneca, dont on sait par ailleurs qu’il offre une protection efficace contre la maladie. Sur le plan statistique, les accidents qu’on déplore représentent donc un pourcentage infinitésimal, comparable à celui qu’on observe avec d’autres vaccins. Bien plus troublant : rien ne montre, à ce stade, que les décès enregistrés soient liés à l’administration du vaccin. Dans le cours ordinaire du temps, sur cinq millions de personnes, quelques-unes meurent d’une thrombose, sans qu’on leur inocule quoi que ce soit. Ainsi on confond coïncidence et causalité. Tel patient a reçu le vaccin, il a ensuite subi un accident vasculaire : le vaccin en est donc la cause. Un proverbe latin résume ce sophisme : Post hoc, ergo propter hoc. En français : « À la suite de cela, donc à cause de cela. » Ce qu’on peut illustrer de manière plus triviale : beaucoup de personnes meurent dans leur lit. Doit-on en déduire qu’on risque gros à se coucher le soir ?
C’est pourtant le syllogisme sur lequel se sont appuyés plusieurs gouvernements européens pour proscrire AstraZeneca. Peut-être, au bout du compte, découvrira-t-on un effet indésirable et dangereux dans ce médicament. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. Il semble bien, en fait, que les responsables européens aient agi comme les moutons de Panurge. Le premier mouton court vers la falaise : les autres l’imitent et tombent à sa suite. Un ou deux pays scandinaves montrent du doigt le vaccin, les autres font de même.
Si plusieurs gouvernements européens prennent cette décision, s’est dit Macron, l’opinion ne comprendrait pas que je m’y refuse. Autrement dit, on craint de comprendre que c’est bien moins la prudence médicale que la peur de l’opinion qui ait motivé le gouvernement français. Entretemps, la vaccination prend encore plus de retard, des dizaines de milliers de doses sont perdues, et le nombre de décès lié à cette interruption se comptera non en dizaines, mais en centaines ou en milliers de morts. Pire, il est possible qu’on ait jeté sur ce vaccin une opprobre injustifiée, qui alimentera la pernicieuse propagande des « antivax » et renforcera la méfiance de la population envers la vaccination en général, ce qui handicapera d’autant la lutte contre le Covid et repoussera en proportion le retour à une vie à peu près normale. Tel est le prix d’une gestion à la godille, plus sensible aux humeurs du temps qu’à la rationalité.