Boris le démagogue - Lettre politique #95

Laurent Joffrin | 27 Mai 2021

Quiconque s’intéresse aux effets politiques et sociaux du populisme identitaire qui s’est répandu sur la planète doit suivre de près l’itinéraire chaotique du Premier ministre britannique Boris Johnson. 

Chaleureux, fantasque et drôle, « Boris » comme disent les Britanniques, reste populaire et gouverne sans réelle opposition un pays qu’il a réussi, dans une offensive éclair pro-Brexit, à rallier autour de lui lors d’une victoire électorale écrasante. Ce qui n’empêche pas les déconvenues et les échecs de s’accumuler sous ses pas.


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Dernier en date, l’audition de son ancien conseiller Dominic Cummings devant des commissions parlementaires. Celui qu’on surnommait « Dom » dans le microcosme londonien, décidé à régler ses comptes avec son ancien patron, vient d’en donner une description ravageuse au cours de son long témoignage devant le Parlement. Thèse centrale de son discours : Johnson est « incompétent ». Et d’aligner les exemples destructeurs sur la manière dont le Premier ministre, adepte des gestes provocateurs et des formules à l’emporte-pièce qui plaisent tant à ses électeurs, a géré la crise de la Covid. À l’origine, son refus de reconnaître la gravité de la pandémie et sa volonté de parier sur « l’immunité collective », c’est-à-dire de ne rien faire ou presque contre le virus en attendant qu’une proportion suffisante de la population britannique soit infectée pour que la pandémie s’arrête d’elle-même. Impasse sanitaire et politique : devant la thrombose hospitalière subséquente, Johnson a dû confiner brutalement la population pour juguler l’engorgement du système de santé, après avoir causé, selon Cummings, « des dizaines de milliers de morts inutiles ». Même réaction lors de la deuxième vague qui frappe le Royaume-Uni. Soucieux de l’économie et non de la santé, Johnson déclare à son entourage qu’il préfère « voir les corps s’empiler » plutôt que de gêner la production nationale. Nouvelle impasse : il cause encore des morts inutiles par son refus de l’évidence et il est contraint de confiner une deuxième fois pour limiter l’hécatombe. Il perd, en somme, sur les deux tableaux.

Le même constat prévaut si l’on s’intéresse aux conséquences nombreuses et tangibles du Brexit dont il a fait son mantra. Après quatre années de vie publique chaotique qui ont divisé le pays comme jamais, le Brexit est entré en vigueur. Depuis, l’Écosse, qui a voté à 60% contre le Brexit, menace de quitter le Royaume-Uni en raison de la victoire électorale du parti indépendantiste, qui veut rester au sein de l’Union. Pire : le déplacement de la frontière commerciale avec l’Union en mer d’Irlande, conséquence inévitable du Brexit, a suscité l’ire du parti unioniste d’Irlande du nord, qui craint de se voir séparée de l’Angleterre et risque de reprendre le sentier de la guerre. Sachant que l’autre solution – le rétablissement d’une limite douanière entre le nord et le sud de l’Irlande – provoquerait une réaction symétrique et tout aussi violente des nationalistes irlandais… Tony Blair avait négocié un habile mais fragile compromis pour mettre fin aux « années terribles » du terrorisme de l’IRA. Le Brexit en mine les bases et fait ressurgir le spectre de la guerre civile, dont Boris Johnson portera, si elle se produit, la principale responsabilité.

Le gouvernement britannique a présenté comme une grande victoire la récente signature d’un accord de libre-échange avec l’Australie. Accord qui illustre sa volonté de créer une « global Britain » ouverte sur le monde et non sur l’Europe. Mais l’accord en question portera implacablement atteinte aux intérêts des éleveurs du Royaume-Uni, qui verront la viande australienne, moins chère et venue du bout du monde sans la moindre attention au bilan carbone de l’affaire, leur infliger une concurrence redoutable. Les promoteurs du Brexit avaient vendu aux classes populaires une meilleure protection contre les effets délétères d’une mondialisation sans frein, dont ils avaient érigé l’Union européenne en symbole maléfique. Résultat : le projet de « Global Britain » laissera ces classes populaires exposées de manière bien plus cruelle à la concurrence internationale. Autrement dit, le Brexit est avant tout une escroquerie démagogique, qui attaque les protections des plus pauvres sous prétexte de les défendre.

« Boris » en subira-t-il les inconvénients politiques ? Rien n’est moins sûr. En recourant à la rhétorique souverainiste, il flatte en permanence le nationalisme latent des Britanniques et argue de l’indépendance de décision que le Brexit lui a procurée. C’est la force du nationalisme : peu importe les conséquences de sa politique, ce qui compte, c’est la souveraineté. Peut-être que nous faisons avant tout des bêtises, dit-il aux électeurs aveuglés par leur chauvinisme. Mais ces bêtises sont les nôtres.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages