Contrairement à l’idée préconçue de certains utilisateurs, les syndicats – ou toute autre organisation – ne peuvent pas réussir une manifestation massive sur commande. Le gouvernement doit y mettre du sien, sans quoi le ratage est certain. Voici donc quelques conseils dont l’application lui donnera de bonnes chances de succès :

• Le contexte est essentiel : un gouvernement trop populaire, des ministres à la forte personnalité, une situation sociale favorable, mènent en général à l’échec. On choisira donc un moment où la cote de confiance du pouvoir est basse, on composera un gouvernement sans poids lourds politiques, on attendra une dégradation sociale suffisante, par exemple un fort taux d’inflation ou bien une crise énergétique grave.
  
  
• La nature du projet de réforme a son importance : il doit imposer des sacrifices à une part importante de la population et, surtout, comporter une dose d’injustice suffisamment forte pour être comprise de tous. Il est bon, pour clarifier la démarche, d’épargner autant que possible les classes supérieures, de manière à placer les plus défavorisées dans de bonnes conditions psychologiques.
  
  
• Il faut se méfier de certains syndicats, notamment de la CFDT, habituée à des négociations constructives qui peuvent corriger l’injustice du projet et rassurer ceux qui craignent une régression sociale. On placera donc, en exergue du projet, une disposition dont la CFDT a dit à l’avance qu’elle était inacceptable, ce qui consolidera le front des opposants. On s’assurera, symétriquement, du soutien clair et net du MEDEF, qui aide toujours volontiers les syndicats dans leur protestation.

La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner

• On sera sans doute contraint à des discussions en amont avec les partenaires sociaux : on fera en sorte que les aménagements du projet qu’on devra consentir soient secondaires, voire marginaux, et que le projet sorte à peu près intact, dans ses arêtes, du cycle de consultations.
  
  
• Un an ou deux avant de rendre public le projet de réforme, il est bon, pour garantir l’aboutissement du processus, de plaider hautement pour l’exact inverse de ce qu’on veut faire, de manière à fournir aux opposants un argumentaire plus efficace le jour venu.
  
  
• Le pouvoir doit enfin veiller à préparer l'opinion, en distillant, de loin en loin, quelques aphorismes brusques et légèrement méprisants que les manifestants pourront utiliser ou détourner pour les inscrire sur leurs banderoles.   

Alors, une fois ces conditions remplies, et avec un peu de chance, on aura suscité une forte mobilisation et gonflé en nombre le défilé prévisible, ce qui permettra de tangenter – ou de dépasser – le million de manifestants.

Crédit photo :  Midi Libre