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La lettre politique de Laurent Joffrin #11 - Coups de Qanon contre la démocratie
Coups de Qanon contre la démocratie
Mauvaises nouvelles de la démocratie américaine, et de la démocratie en général. Une théorie parfaitement loufdingue vient d’envahir les réseaux sociaux avec une force et une vitesse effrayantes. Résumons : une phalange secrète tapie dans « l’État profond » contrôle subrepticement la société étatsunienne, se livrant, entre autres, à des pratiques sataniques et à un trafic d’enfants massifs à des fins de pédophilie. Ce complot supposé, qui réunit des membres de l’élite, dont Hillary Clinton, est dénoncé à coups d’affirmations horrifiques et de messages cryptés par un certain « Q », ou « Qanon », dont on imagine qu’il est un membre dissident des service secrets américains. Une des innombrables thèses farfelues qui infestent les réseaux, à l’image des « terre-platistes » qui contestent la rotondité de la planète, et mobilisent des petites minorités d’exaltés adeptes de théories toutes plus fumeuses les unes que les autres ? Bien plus que cela, en fait. Les zélotes de « Qanon » se comptent par centaines de milliers. Des groupes locaux ont essaimé sur le territoire des États-Unis et certains sénateurs républicains leur ont donné écho. Ces complotistes revendiqués font activement campagne pour Donald Trump, en qui ils voient un rempart face au pouvoir occulte de ces élites sataniques. Le mouvement déborde maintenant en Europe par le truchement des mêmes réseaux sociaux (ou anti-sociaux).
Facebook, dans un sursaut de lucidité, a fermé tous les comptes se rattachant à cette mouvance. Mais le geste a renforcé l’idée qu’une coalition mondiale manipulée d’en haut veut étouffer la vérité.
L’affaire dépasse de beaucoup le simple fait divers numérique. « Qanon » n’est qu’une manifestation spectaculaire de cette idée qui court partout, selon laquelle les démocraties contemporaines se réduisent à un théâtre d’ombres dominé en coulisse par des élites prédatrices et invisibles. On en trouve la trace, sous des formes plus discrètes ou présentables, dans nombre de discours politiques, en général tenus par les extrêmes.
Bien entendu, les médias sérieux, les esprits rationnels ou de simple bon sens mènent un combat méritoire en opposant à ces folies une argumentation logique et factuelle. Mais on a le sentiment que ce sont des combats incertains et peut-être vains. Le complotisme tend à devenir une figure majeure du débat public dans les sociétés ouvertes. Ce phénomène montant, qui contamine une large partie de la population, renvoie surtout à la crise de représentation qui mine les pays libres, qui est, plus fondamentalement, une crise de confiance.
C’est l’originalité des mouvements national-populistes à la Trump qui font florès depuis une quinzaine d’années – et même plus en France. Non pas, comme dans les années trente, dénoncer frontalement la démocratie en proposant un système alternatif, autoritaire ou fasciste, mais exiger au contraire une « vraie démocratie » débarrassée du pouvoir occulte et impérieux des « élites mondialisées » dont Qanon dessine une image démoniaque. Dans ce schéma, un homme ou une femme forte incarne le peuple et promet de lui rendre le pouvoir contre, au choix, « la bien-pensance », la « pensée unique », le « cosmopolitisme », le « mondialisme », etc.
Dès lors, pour tout démocrate, et notamment pour toute gauche responsable, il n’est qu’une seule voie de salut : un ensemble de réformes de fond qui assure, non au « peuple » ethnique et faussement unifié, mais aux citoyens et citoyennes constituées en corps politique pluraliste, le moyen d’intervenir plus étroitement et plus souvent dans les affaires publiques. Référendum d’initiative populaire, réhabilitation du Parlement, découplage des élections présidentielle et législatives, rénovation et amplification du rôle de la troisième chambre (aujourd’hui le CESE), rappel des députés en cas de non-respect des promesses de campagne, droit de vote à seize ans, démocratisation des médias, budgets participatifs, rehaussement des pouvoirs locaux et régionaux, renforcement de la déontologie politique, toutes ces pistes doivent être explorées, calibrées, ajustées. C’est la réplique urgente aux tirs de Qanon. Pour contrer les nationaux-populistes, il faut restituer – vraiment – le pouvoir au peuple et lui redonner confiance dans le pouvoir.