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COVID, les trois erreurs de Macron - La lettre politique de Laurent Joffrin #19
Covid : les trois erreurs de Macron
Le trou noir… Sinistres à souhait, les annonces du président Macron plongent une deuxième fois la France dans l’obscur tunnel du confinement. Un confinement allégé, certes, mais néanmoins désastreux pour le moral du pays, pour l’économie – c’est-à-dire pour le social – et pour la vie collective.
Dans le souci de préserver une partie de l’activité, on ouvre de larges exceptions et on laisse les écoles ouvertes. Stratégie compréhensible dans l’urgence de la situation mais stratégie tout de même délétère : les « derniers de cordée » devront monter une nouvelle fois au front ; les cadres et les travailleurs intellectuels seront assignés au télétravail, les premiers exposés au virus, les seconds à l’abri chez eux. La crise sociale subséquente frappera d’abord les jeunes, qui auront le sentiment d’être professionnellement sacrifiés pour sauvegarder les anciens. Générationnelles ou sociales, les fractures s’élargiront une nouvelle fois, tandis que chacun observera la lutte dramatique des soignants contre le mal.
Cette perspective déprimante conduit, à la fin des fins, à poser une question : quelle est l’exacte responsabilité des responsables du pays ? Il y a une mauvaise manière d’y répondre : sacrifier une nouvelle fois à l’obsession anti-élites répandue par les populistes de tous bords. Non, les dirigeants de la nation n’ont pas obéi à telle ou telle force de l’ombre, comme « l’État profond » dénoncé par Onfray et ses émules, baliverne complotiste aux effets pernicieux. Non, ils n’ont pas négligé les avis de médecins dissidents, les Raoult, Toussaint et autres « rassuristes », qui clamaient la fin de l’épidémie pour vendre leur camelote paranoïaque. Ils ont seulement constaté que ces gourous péremptoires se sont dramatiquement trompés en annonçant la fin de l’épidémie et que leur crédit est désormais ramené là d’où il n’aurait jamais dû sortir : à zéro. Le Conseil scientifique avait vu juste en mettant en garde l’opinion contre un retour du virus. On peut maintenant distinguer faux prophètes et savants raisonnables. Aussi bien, la « deuxième vague » frappe peu ou prou toute l’Europe ; impossible de l’imputer aux seuls errements du gouvernement français.
Lesquels existent néanmoins. C’est là que l’opposition, la gauche notamment, peut retrouver son rôle de critique rationnel de la politique menée. Six mois après le début de la pandémie, on peut honnêtement diagnostiquer trois erreurs commises par nos gouvernants.
- Une communication erratique: la palinodie des masques, souvent soulignée, une sorte d’euphorie diffuse qu’on a laissé s’installer pendant l’été, qui a laissé penser que l’épreuve touchait à sa fin, ce qui a provoqué un relâchement des précautions très dommageable. Avec ce paradoxe à la clé ; on a nommé Jean Castex à Matignon parce qu’il avait « réussi le déconfinement ». Il apparaît aujourd’hui qu’il l’a raté. Sa promotion a découlé d’un contresens.
- Des échecs techniquesqui portent sur les tests, sur le traçage, sur l’application « Stop-Covid », solutions alternatives aux mesures de restriction générales qui ont fait long feu.
- La fausse promesse d’une transformation de l’hôpital, prononcée à Mulhouse par le président, mais qui a accouché d’une souris maigrelette. On lira à cet égard le livre de Frédéric Adnet, chef du Samu à l’hôpital Avicenne en Seine Saint-Denis (1). Depuis de longues années, explique ce médecin qui a affronté la crise en première ligne, les gouvernements successifs ont appliqué à l’hôpital une médication austère. À travers un système de financement restrictif (ONDAM, T2A, etc.), ils ont visé à limiter les dépenses de santé pour réduire les déficits qui affectent les finances publiques du pays. Intention compréhensible dans une France endettée, mais aux conséquences néfastes pour le système de santé. Il a abouti à réduire le nombre de lits disponibles et à mettre l’hôpital sous la direction de hauts-fonctionnaires qui ont pris le pouvoir au détriment des médecins. Déjà problématique en temps normal, ce mode de gestion n’a pas résisté à la crise de la Covid. C’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron a annoncé un changement profond des méthodes. Mais, selon Adnet, dès le pic de l’épidémie passé, l’ancien monde a repris aussitôt ses droits. L’augmentation de salaire dispensée aux personnels soignants les a déçus. Les médecins qui avaient repris la main dans la gestion des hôpitaux ont été de nouveau écartés. Ce retour en arrière a entraîné une forme de découragement chez ceux qui ont affronté le fléau au premier rang, provoquant retraits, démissions et démobilisation : l’engorgement que l’on observe aujourd’hui tient avant tout au manque de personnel. Les lits et le matériel sont souvent là ; on ne peut les utiliser faute de soignants. Le dévouement inhérent à cette profession reprendra sans doute le dessus. Mais dans l’immédiat la pénurie de personnel handicape la réponse sanitaire.
Plutôt que de se contenter de vitupérations parcellaires, c’est sur ce point qu’une gauche responsable doit fonder sa critique. Il faut motiver les soignants, qui vont une deuxième fois encaisser le choc, ce qui passe par un effort financier ; il faut réformer la gouvernance hospitalièrepour mieux associer les médecins ; il faut définir une stratégie de moyen terme, dans la mesure où le virus, tous les scientifiques le disent, restera actif tant qu’un vaccin n’aura pas été mis au point. Loin du poujadisme ambiant, c’est la bonne manière de pratiquer une opposition responsable.
- Professeur Frédéric Adnet, Les Fantassins de la République, Flammarion.