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Edouard Philippe, le Hamlet du Havre - Lettre politique #79
Tournée des médias pour Edouard Philippe, qui promeut le livre qu’il a écrit avec Gilles Boyer, son vieil ami et ancien directeur de cabinet, avec qui il forme un couple digne d’Oreste et Pylade.
Exercice ardu au demeurant, qui se résume à cette question sans réponse : comment se distinguer de Macron sans s’en détacher, s’en séparer sans sembler le lâcher, prendre son envol tout en restant verbalement à ses côtés, jouer les recours tout en niant vouloir lui succéder, se dresser devant lui sans lui faire de l’ombre. En un mot : comment quitter sans trahir, comment exister sans être ; comment être présent dans l’absence et absent dans la présence.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Quadrature du cercle médiatique qui débouche sur des entretiens surréalistes, consistant à occuper beaucoup d’espace en parlant très peu, à ne rien dire sur un ton de dense gravité, à enfiler des réflexions qui paraissent profondes parce qu’elles sont creuses. À chacune des questions, l’ancien premier ministre répond par des hésitations solennelles, des bribes disparates, des banalités prononcées sur un ton d’oracle. La définition du livre par ses auteurs donne le la : ni récit, ni mémoires, ni journal, ni somme de confidences ou d’anecdotes, ni traité du gouvernement. Une sorte d’OVNI rhétorique qui ressemble à un couteau sans manche auquel il manque la lame. Même avec sa barbe en noir et blanc, le Hamlet du Havre en tient pour le gris. Au moins, on ne pourra pas dire qu’il survend son livre. Peut-être s’agit-il, finalement, d’une tactique de vente. Cet ouvrage énigmatique enveloppé de mystère peut piquer la curiosité. À la fin, se dit l’auditeur, qu’il y a-t-il dedans ? Peut-être le péquin curieux voudra-t-il dissiper ce brouillard promotionnel en l’achetant, puisqu’il n’a rien appris en écoutant ses auteurs. Suprême ruse commerciale.
Rien ? Si, deux ou trois choses qu’on peut juger bouleversantes : il est difficile de gouverner à cause de la « viscosité du réel » ; on est angoissé avant d’être nommé à Matignon – six kilos perdus en quelques jours, information principale livrée par Philippe ; le Premier ministre et le Président doivent s’entendre pour bien gouverner ; il faut « être cohérent avec ce que l’on pense » ; et enfin, cette leçon essentielle pour la France : elle doit sortir de la crise du Covid dans l’immédiat et penser à l’avenir pour la suite. Voilà qui refonde audacieusement la science politique.
Sans ironie cette fois, Edouard Philippe apparaît tout de même pour ce qu’il est : un homme sympathique et humain, doté d’un sens de l’humour, cette denrée dont manquent tant de leaders, compétent à coup sûr, raide dans ses orthodoxes convictions, qui plane quelque peu au-dessus de l’électeur, pas seulement à cause de sa taille himalayenne. Sa popularité l’incite à apparaître au cas où, sans avoir l’air d’y toucher, même si l’on sait qu’il rencontre systématiquement les chefs à plume de la droite. Si Macron s’effondre ou s’il renonce à se présenter pour vivre une autre vie, en aventurier égotiste, Philippe peut devenir un recours, au confluent de LR et de la macronie. Il aura pour lui son expérience combinée à une relative jeunesse, avec ce handicap : Macron s’est déjà placé entre lui-même et LR. Nous aurions alors, comme candidat à la succession du président, un Macron barbu mâtiné de Juppé. Ne nous y trompons pas : ce serait un petit changement, mais surtout une grande continuité…