Femmes exploitées - Lettre politique #118

Laurent Joffrin | 05 Novembre 2021

Depuis le 3 novembre, à 9 h 22, et jusqu’à la fin de l’année, les femmes travaillent gratuitement. C’est la conclusion symbolique, mais fort expressive, à laquelle arrivent les militantes et militants des droits des femmes. Cette date a été déterminée par plusieurs groupes féministes à partir de la moyenne européenne des inégalités salariales femmes-homme : 16% de différence, soit près de deux mois de « travail gratuit » pour les femmes en comparaison des hommes.

Elle montre, s’il en était besoin, que le principe républicain d’égalité, pourtant posé par la loi, n’est pas respecté. À poste égal, la disparité des salaires s’établit à environ 5 % (certains calculs arrivent même à une différence de 10%) ; et en raison des inégalités de carrière entre femmes et hommes (lesquelles sont rarement justifiées), elle s’élève à 16% au total. Selon Rebecca Amsellem, économiste et fondatrice de l’association « Les Glorieuses », au rythme où vont les choses, pour que l’égalité soit atteinte, il faudrait attendre… l’année 2234.

Cette réalité, établie par les chiffres, montre à la fois la force et la faiblesse des principes universalistes qui sont les nôtres.

La force : le précepte d’égalité est inscrit dans les différentes déclarations droits humains qui dominent l’édifice juridique des démocraties. Celle de 1789, par exemple, dispose, dans son article 1er : « Les hommes (au sens de l’humanité) naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Depuis deux siècles, ces deux phrases fondatrices justifient, de manière consciente ou inconsciente, les revendications sociales et politiques présentées par différents groupes sociaux discriminés, dont les femmes.

La faiblesse de l’universalisme ? Ces principes sont établis, proclamés, inscrits dans le droit positif mais, en fait, comme le remarquent les organisations féministes, leur application est incomplète. Autrement dit, le véritable universalisme, sauf à se renier lui-même, ne saurait s’arrêter aux principes généraux du droit. Il doit aussi prendre en compte l’égalité réelle, - en l’occurrence l’inégalité réelle - et prévoir les moyens de la combattre. S’agissant de l’égalité femmes-hommes, ces moyens sont connus, mais peu mis en œuvre : la fixation d’objectifs de parité inscrits dans la loi et la sanction des entreprises qui ne les respectent pas [1].

         Cette définition enrichie de l’universalisme, qui comprend une lutte active contre les inégalités illégitimes, permet de dépasser l’éternel débat entre revendications spécifiques et règles universelles, entre « communautaires » « républicains », entre « égalité formelle » et « égalité réelle ». L’expérience montre que l’application concrète de l’universalisme suppose une forme de « discrimination positive », c’est-à-dire une intervention volontaire en faveur des groupes discriminés. Sans les règles de parité qui ont contraint les partis politiques à laisser leur place aux candidates, tout indique que le Parlement et le gouvernement seraient restés des chasses gardées masculines. Il en va de même pour l’injustice salariale femmes-hommes, autant que pour la présence des enfants des classes populaires dans les filières d’excellence qui donnent accès aux responsabilités. Sans intervention contraignante, les principes généraux resteront lettre morte. Ce qui mène à cette conclusion qu’on peut trouver dérangeante : sans une forme de « discrimination positive », point d’universalisme efficace.  

 

[1] Les Engagés demandent l’application stricte du principe « à travail égal, salaire égal », d’une part, et d’autre part, l’instauration d’une parité 50-50 au sein de l’encadrement du public et du privé à la fin du prochain quinquennat, avec un mécanisme de sanction pour les contrevenants.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages