- Le mouvement
- Le Lab de la social-démocratie
- Nos publications
- Actualités
- Evénements passés
- Adhérer
« L’islamophobie » et la décadence de l’UNEF - Lettre politique #68
Certains militants radicaux s’ingénient décidément à affaiblir la gauche en fournissant sur un plateau à la droite et à l’extrême-droite les moyens de leur propagande.
À l’occasion d’une « journée pour l’égalité », deux enseignants de Sciences-Po Grenoble refusent qu’on mette sur le même plan racisme, antisémitisme et islamophobie. Le dernier de ces termes, disent-ils, désigne la critique d’une religion et non la discrimination raciale, choses différentes qu’on ne saurait assimiler l’une à l’autre. Réflexe compréhensible, même si on ne peut nier que le rejet de l’islam camoufle dans certains cas une intolérance condamnable, non envers des dogmes religieux, mais envers les musulmans comme personnes. Le débat est ancien et légitime, il mérite argumentation et réflexion, comme il sied à l’université.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Et voilà qu’un groupe d’énergumènes, plutôt que de s’en tenir à la controverse politique ou scientifique, trouvent intelligent de placarder à l’entrée de l’université une dénonciation nominale des deux enseignants en question, qualifiés, dans ce honteux collage, de « fascistes » et de « racistes » (ce qui démontre au passage une ignorance crasse de la réalité du fascisme).
Bien pire : deux syndicats étudiants, l’UNEF et l’une de ses dissidences locales, relaient cette mise au pilori sur les réseaux sociaux, diffusant ces absurdes accusations à l’échelle nationale. Quelques semaines après l’assassinat barbare de Samuel Paty, lui aussi qualifié « d’islamophobe » par des militants intégristes pour avoir montré en classe des caricatures de Mahomet, il n’est pas venu à l’esprit de ces deux syndicats que l’accusation « d’islamophobe » et de « raciste », dans le contexte actuel, outre leur caractère diffamatoire, pouvait faire courir à ces deux professeurs quelque risque pour leur sécurité. Criminelle irresponsabilité…
On ne pouvait faire mieux pour faciliter la tâche des adversaires de la gauche. L’UNEF, en effet, occupe une place importante dans son histoire. Longtemps le premier syndicat étudiant, orientée à gauche, elle s’est distinguée par son combat contre la guerre d’Algérie, puis dans lutte contre certains projets universitaires jugés contraires à la démocratisation de l’enseignement supérieur. Organisation laïque, progressiste, carrefour de la gauche étudiante, elle a porté haut les couleurs de la justice sociale, de la liberté d’expression, de l’antiracisme et des valeurs démocratiques. La voilà soudain enrôlée au service d’une cause sectaire, agressive, qui flirte avec l’intégrisme religieux et l’obscurantisme le plus rance, qui use de la dénonciation nominale comme d’une arme légitime, qui traque les enseignants mal-pensants et concourt à l’établissement d’un climat de chasse aux sorcières dans l’université française.
Il y a quelques semaines, la ministre de l’enseignement supérieur avait fort maladroitement stigmatisé « l’islamo-gauchisme » qui sévirait à l’université. Accusation floue, exagérée, grossière, qui englobe des réalités disparates, utilisée à des fins purement polémiques. On confond, dans ce slogan, la tactique dangereuse de certains militants d’extrême-gauche qui jugent utile de s’allier l’islam politique au nom de « l’anti-impérialisme » et la progression d’un courant « intersectionnel » et « décolonial » d’origine anglo-saxonne, minoritaire mais bruyant, qui se garde néanmoins de toute complicité avec le djihadisme. Usant de la dénonciation publique, pratiquant la disqualification de principe, traitant à tort et à travers ses adversaires de racistes, les deux syndicats universitaires grenoblois ne pouvaient trouver mieux pour donner une consistance concrète aux accusations sommaires de la ministre. Un seul mot : bravo !