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Italie : la reddition populiste - Lettre politique #59
L’Italie, c’est l’un de ses charmes, a souvent servi de laboratoire politique à l’Europe. Du ralliement de l’ancien Parti communiste à la démocratie à l’invention du populisme de droite par Silvio Berlusconi, en passant par cette « opération mains propres » qui a déstabilisé la classe politique, on ne compte pas les innovations politiques qu’elle a mises à son actif, pour le meilleur ou pour le pire.
La lettre politique de Laurent Joffrin #59 | S'abonner
La crise politique qui secoue une nouvelle fois la péninsule n’échappe pas à la règle. Le gouvernement Conte, fondé sur une étrange alliance entre le centre-gauche et le mouvement Cinq Étoiles qui a eu pour effet bénéfique d’écarter du pouvoir Matteo Salvini, chef de la Ligue spécialisé dans la rhétorique anti-européenne et anti-immigration, n’a pas survécu à la défection soudaine de Matteo Renzi, chef d’un petit parti charnière social-centriste. Cette nouvelle crise gouvernementale (la deuxième en moins de trente mois) est principalement due au scrutin proportionnel, conduisant à un morcellement de la vie politique et qui trahit les électeurs, avec des coalitions gouvernementales qui vont à rebours des promesses de campagne : le mouvement Cinq Étoiles avait dit qu’il ne gouvernerait jamais avec la Ligue de Salvini, ce qu’il fit pourtant de 2018 à 2019, et le parti démocratique avait indiqué la même chose à l’égard de Cinq Étoiles, pour finalement gouverner avec lui de 2019 à aujourd’hui. Le président Sergio Matarrella, qui cherche une solution gouvernementale aussi large que possible, a fait appel à Mario Draghi, ancien ministre des Finances et, surtout, ancien gouverneur de la Banque centrale européenne, connu comme le « sauveur de l’euro ». Figure somme toute classique : on fait appel à un grand technicien pour constituer ce qu’on appellerait en France un gouvernement « d’union nationale ».
Mais là où les choses changent, c’est que ce nouveau gouvernement pourrait bénéficier de l’appui non seulement du mouvement Cinq Étoiles, mais aussi de Matteo Salvini lui-même. On appréciera diversement cet attelage baroque qui mêle centristes et extrémistes populistes au nom de l’urgence sanitaire et financière (l’Italie a un besoin crucial des milliards que l’Union européenne s’apprête à prodiguer au gouvernement italien). Mais on remarquera particulièrement que Cinq Étoiles et, surtout, Salvini sont sur le point de soutenir avec éclat ceux dont ils avaient fait leurs têtes de turc obsessionnelles : les élites « européistes », les pontes de la finance, les « sachants » appuyés sur leur compétence.
On dira qu’ils font preuve de pragmatisme et se rallient à la logique de l’Union nationale. Certes. Mais on doit surtout remarquer que le populisme, s’il est plus résistible qu’on ne croit, ne résiste guère à l’épreuve des faits, que le soutien populaire, à force d’extravagances et de provocations, finit par leur manquer, qu’il n’y a dans ce courant rien d’autre, au fond, qu’un médiocre opportunisme, qui prospère sur la colère et l’émotion mais n’incarne aucun projet solide ni aucune constance politique. Après avoir conspué l’establishment et l’Europe, Salvini quémande une place dans un gouvernement qui en est l’exact reflet. Qu’en déduire ? Une seule chose : de droite ou de gauche, fondé sur le rejet, l’agressivité, la fausse rupture et la vraie intolérance, le populisme est l’une des pires manières de tromper le peuple.