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La lettre politique de Laurent Joffrin #15 - L’arme de la liberté
L’arme de la liberté
Pour défendre la démocratie, faut-il s’en affranchir ? Pour conforter la République, faut-il abandonner ses principes ? Face aux attaques barbares de l’islamisme radical, la France se retrouve confrontée à un dilemme somme toute classique. Saisie d’un effroi compréhensible, légitime, l’opinion demande une action prompte et résolue contre les terroristes et contre ceux qui les justifient, les encouragent ou bien s’acharnent à créer une atmosphère de haine envers les institutions françaises en faisant passer les lois islamistes – par eux redéfinies – avant les lois du pays.
La doctrine démocratique est sur ce point sans ambages : les régimes démocratiques sont fondés, quand leur existence même est en jeu, quand on porte atteinte à leurs intérêts vitaux, à restreindre, voire à suspendre certaines libertés publiques pour se défendre. C’est notamment le cas en temps de guerre. Le gouvernement britannique, par exemple, a pris des mesures exceptionnelles pour faire face à l’offensive nazie, lesquelles ont été annulées pour revenir au droit commun au lendemain du conflit. Après les attaques terroristes du Bataclan et de l’Hypercasher, la France a établi un état d’urgence qui a accru les pouvoirs de la police et justifié la surveillance des personnes suspectées d’intentions criminelles. Il devra disparaître une fois le fléau vaincu. Surtout, les principes fondamentaux, définis par la Constitution et qui sont le socle de la Nation républicaine et du « vivre tous ensemble », doivent demeurer le rempart ultime contre toutes les atteintes, y compris de l’État lorsqu’il doit réagir aux attaques dont il peut faire l’objet. C’est d’ailleurs ce qui justifierait que les régimes d’exception soient inscrits dans la Constitution : ils sont alors mieux encadrés.
Sommes-nous en temps de guerre ? Oui et non. La France mène une guerre juste contre les organisations terroristes au Mali, après l’avoir fait en Irak et en Afghanistan. Mais ce sont des combats lointains, dont on ne peut pas dire qu’ils mettent le territoire français en état de guerre. Nous menons une « guerre contre le terrorisme » chez nous, mais c’est une expression quelque peu métaphorique : nous n’affrontons pas d’armée étrangère, ni d’offensive aux frontières ; il s’agit plutôt, techniquement parlant, d’une forme particulièrement barbare de guérilla, qui exige des mesures différentes (ce qui n’enlève rien à son caractère sanguinaire). Marine Le Pen tombe ainsi dans l’outrance en exigeant des « mesures de guerre » pour combattre les attentats islamistes. La surenchère à laquelle elle se livre – elle n’est pas la seule – reviendrait à nier les principes de la République, et donc à l’affaiblir politiquement, alors que l’arsenal des lois existantes donne déjà d’importants pouvoirs à l’État pour faire face. Celui-ci permet déjà de dissoudre les organisations appelant à la violence, fermer des lieux de culte, expulser des imams étrangers, surveiller les suspects pour prévenir les attentats (notamment grâce au « fichier S »), etc. On peut discuter de textes visant à combattre la haine sur Internet ou encore resserrer l’attribution du statut de réfugié en utilisant les règles d’aujourd’hui. Mais il y aurait danger à remettre en cause les fondamentaux de l’État de droit, que sont notamment le droit d’accès au juge et la liberté d'expression pour combattre l'islamisme. Non seulement on risque d’écorner gravement les libertés publiques sans nécessité impérieuse, mais, surtout, on risque de faire le jeu de cetennemi islamiste.
Celui-ci poursuit manifestement trois buts. Il veut d’abord terroriser l’opinion et l’État. Il a jusqu’à maintenant échoué : l’opinion refuse de se laisser intimider et exprime régulièrement sa volonté de conserver son mode de vie, de défendre les principes communs en dépit des attaques. Elle soutient les efforts de l’État démocratique, à l’intérieur comme à l’extérieur.
L’ennemi islamiste veut ensuite démontrer que la démocratie française n’en est pas une, que la liberté est factice, que l’État républicain exerce une oppression en général, et une répression dirigée en particulier contre les musulmans. Adopter les mesures préconisées par l’extrême-droite, ce serait lui donner raison. Qu’un ministre de la République demande aux commerces de ne pas vendre de produits hallal, c'est déjà aller dans ce sens.
L’ennemi islamiste veut enfin, et surtout, creuser le fossé entre les musulmans et les autres Français, de manière à coaliser les fidèles de l’Islam autour de la fraction radicale. Son but premier, c’est de développer sa propagande, et par là son influence, parmi les Français musulmans, qu’il juge dangereusement contaminés par les principes de liberté. Une répression qui toucherait de manière indistincte tous les croyants islamiques (et non islamistes) lui offrirait des atouts maîtres. Il s’agit d’une bataille politique, autant que policière. Il est de l’intérêt politique supérieur des républicains de mettre de leur côté la masse des Français musulmans et non de les jeter dans les bras de l’islam radical, qui se targuerait alors d’être leur seul défenseur. Il ne s’agit pas seulement de justice, de démocratie, de respect du droit, mais aussi d’un raisonnement stratégique décisif. Pourquoi renforcer l’ennemi, quand il faut au contraire l’isoler pour le réduire ? En un mot, la liberté n’est pas un handicap dans cette lutte. Elle est une arme. Tout à leur obsession identitaire, à leurs réflexes xénophobes, à leur tropisme autoritaire, les zélotes de la droite extrême font semblant de ne pas le comprendre.