L’avertissement suédois

Laurent Joffrin | 16 Septembre 2022

Le succès spectaculaire remporté par l’extrême-droite en Suède pose de redoutables questions à la gauche européenne. En effet, dans un scrutin serré, la gauche suédoise a dû s’incliner avec 173 sièges contre 176 pour le « bloc des droites », au sein duquel le parti extrême, les Démocrates de Suède, a obtenu le meilleur score, avec quelque 20% des voix. Les nouveaux dirigeants, s’ils refusent pour l’instant de gouverner avec l’extrême-droite, devront composer avec elle pour constituer une majorité au Parlement et donc se placer sous son influence.

Notons au passage que les sociaux-démocrates, qui ont gouverné le pays dans les deux précédentes mandatures, ont progressé en voix (à 30%). C’est la percée des Démocrates de Suède dans les classes populaires, conjuguée avec l’effritement des partis de droite classique et celui des écologistes et des autres petits partis de gauche, qui a entraîné le changement de majorité. Ce qui suscite de dérangeantes interrogations.

Il est courant, en effet, dans le camp progressiste, d’imputer la montée des partis populistes de droite aux inégalités sociales, aux tensions urbaines, à la crise démocratique, aux difficultés sociales rencontrées par les classes populaires, au discrédit général qui frappe les partis classiques. Toutes choses qui jouent effectivement leur rôle. Mais il se trouve que la Suède figure parmi les nations les moins inégalitaires d’Europe, et qu’elle est un pays où le sens démocratique est l’un des plus aigus au monde. Le règne historique des sociaux-démocrates en Suède a permis de mettre en place et de perfectionner sans cesse un État-providence sans doute le plus protecteur du continent, dans un pays prospère, à l’industrie puissante et compétitive, aux mœurs pacifiques et à la vie politique marquée du sceau du compromis et de la tolérance.

La vérité oblige ainsi à dire – comme le font d’ailleurs la plupart des commentateurs de ces élections, quelle que soit leur orientation - que cette victoire de la droite xénophobe en Suède a deux causes essentielles : l’insécurité et l’immigration. Et c’est un fait qu’en proportion, la Suède est l’un des pays où le nombre d’étrangers - ou de citoyens issus de l’immigration - est le plus important en Europe. La première ministre sortante, la sociale-démocrate Magdalena Andersson, a elle-même confessé, avant le scrutin, que l’intégration dans son pays était « un échec ». 

Il ne s’agit évidemment pas ici de suggérer que l’immigration est la source de tous les maux qui frappent la société suédoise. Il s’agit de constater une réalité politique : au pays de l’État-providence, de la tolérance et de l’ouverture, la montée de l’extrême-droite correspond à l’augmentation du nombre d’immigrés et à l’inquiétude que celle-ci suscite chez les électeurs des classes populaires.

Il ne s’agit pas plus de proposer d’imiter la stratégie des sociaux-démocrates danois, qui ont gagné les élections et divisé par deux le score de l’extrême-droite… en reprenant, pour partie en tout cas, ses thèses et ses propositions. Cet exemple est d’ailleurs le seul en Europe. En Allemagne, en Espagne ou au Portugal, la gauche de gouvernement s’est gardée d’emprunter cette voie, et gagné tout de même les élections.


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Il s’agit en revanche de tirer un signal d’alarme. En Suède aujourd’hui, bientôt sans doute en Italie, depuis longtemps en Hongrie et en Pologne, en Grande-Bretagne avec le Brexit, et en France, où la candidate du Rassemblement national a obtenu 42% des suffrages à la dernière présidentielle et son parti 89 députés aux législatives, les difficultés liées à l’immigration et à l’insécurité ouvrent un boulevard au populisme identitaire. Plutôt que de s’acharner à nier ou à minimiser cette évidence, la gauche ferait bien d’en tenir le plus grand compte pour élaborer une politique cohérente dans ces deux domaines, respectueuse de ses valeurs mais qui apporte une réponse crédible aux inquiétudes des classes populaires. Quelle doit être cette politique ? Ce serait l’objet d’un développement beaucoup plus long. Mais l’exemple suédois le démontre à l’envi : elle ne saurait reposer sur le déni.

 


Et aussi

 

Sous réserve des vérifications annoncées par le président Zelenski, il semble bien que des charniers importants de civils et de militaires exécutés sommairement par les soldats russes aient été découverts dans la ville d’Izioum, récemment libérée par l’armée ukrainienne. Si l’information est vérifiée et l’ampleur du massacre attestée, il se confirmera que les troupes de Vladimir Poutine se rendent coupables de crimes de guerres répétés en Ukraine, avec des méthodes inédites en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Une fois les faits établis, ce serait une marque scandaleuse de déshonneur si la gauche française restait inerte devant de telles exactions.

 

La Figaro, sous la plume de Michel Houellebecq, de Laurence de Charrette et de quelques autres, entame une campagne destinée à contrer les projets d’évolution de la loi française sur la fin de vie, comparable à celle qu’il avait lancée en vain contre l’instauration du « mariage pour tous ». Argument principal : la société ne peut contraindre quiconque, même indirectement ou tacitement, à mettre fin à son existence, quel que soit son état physique, aussi dégradé ou « indigne » soit-il. L’ennui, c’est que dans aucun des projets sur la table en ce domaine, il n’est prévu de contraindre quiconque à quoi que ce soit. Si « suicide assisté » il y a, ou « euthanasie », rien ne sera possible sans le consentement conscient, répété, éclairé, des personnes concernées, qui voient s’ouvrir devant elles des semaines, parfois des mois, de souffrance insupportable. Ouvrir une liberté, ce n’est pas instaurer une contrainte…

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages