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La France Insoumise saisie par la nuance
Tout arrive en ce bas monde politique, même les choses les plus invraisemblables. Ainsi les dirigeants de la France Insoumise, qui ont, depuis l’origine de leur mouvement, théorisé, justifié, vanté la pratique de l’opposition frontale, du verbe abrupt, de la dénonciation sans concessions, ont soudain découvert l’existence d’un mot jusque-là radicalement étranger à leur vocabulaire : la nuance.
Sonnez hautbois, résonnez musettes ! La bonne nouvelle est arrivée par la bouche de Manuel Bompard, lieutenant de Jean-Luc Mélenchon. Pour se porter au secours de son camarade Adrien Quatennens, qui s’est mis en retrait de ses fonctions après avoir admis qu’il avait usé de violence envers son épouse au cours d’un divorce difficile (une gifle, une bousculade, consignées sur une main courante), cette excellence insoumise a employé avec gravité le mot « nuance » « Une gifle, a-t-il dit, n’est jamais acceptable, mais elle n’est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours (…) il faut qu’on arrive sur ces sujets à avoir de la nuance ».
De la nuance… On conviendra que battre une fois sa femme n’est pas la battre tous les jours. Mais enfin, l’acte ressortit clairement des violences faites aux femmes, et ne saurait donc justifier une rhétorique de la minimisation, celle que les dirigeants de LFI emploient depuis le début de cette affaire, en premier lieu par le truchement de leur leader Jean-Luc Mélenchon, qui a rendu un vibrant hommage à Adrien Quatennens dès les faits connus et admis, et qui a persisté et signé depuis, accusant les médias d’être les vrais coupables. « Parmi les tuées par leur conjoint ou ex, une proportion significative avaient porté plainte ou déposé une main courante. Combien de cas aurions-nous pu éviter ? ». Qui est l’auteur de cette juste remarque, le 11 octobre 2019 au Parlement ? Adrien Quatennens, objet de la main courante annonciatrice, traitée aujourd’hui par LFI avec un luxe de nuances et de subtilités.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
S’engageant dans ce registre nuancé, on attend maintenant que les mélenchonistes s’y conforment sur d’autres sujets. Ainsi le sens de la nuance devrait les conduire à préciser que la phrase « la police tue » n’est guère nuancée. Certains policiers tuent, certes, soit parce qu’ils sont en état de légitime défense, soit parce qu’ils commettent une faute grave, justiciable des tribunaux. Mais la police dans son ensemble ne tue pas. Au contraire, la masse des policiers s’efforce de protéger les citoyens avec des moyens de coercition inévitables mais proportionnés, ce qui n’excuse en rien les fautifs. Tel serait un discours pertinent. Il est vrai que son caractère nuancé aurait le défaut de ne pas provoquer un de ces hourvaris médiatique qui placent LFI au centre des polémiques.
Aussi bien, la phrase « La République, c’est moi ! » exprime non la nuance mais l’hubris d’un dirigeant qui n’admet pas d’être confronté à une enquête sur certaines transactions financières douteuses de son parti. Certes les députés sont dépositaires d’une partie de la dignité républicaine, c’est peut-être ce que voulait dire Jean-Luc Mélenchon à l’époque. Mais LFI saisie par la nuance devrait admettre qu’ainsi prononcée, elle est outrancière et ridicule.
Aussi bien, les Insoumis pourraient aussi reconnaître, en toute nuance, qu’imputer la responsabilité du conflit ukrainien aux seuls États-Unis, comme ils l’ont fait avant le déclenchement de l’invasion russe, relevait d’un réflexe antiaméricain dépassé, propre à l’extrême-gauche. Les diplomaties occidentales ont peut-être été maladroites. Mais chacun avait compris depuis le début (sauf la France insoumise) que Vladimir Poutine attisait le conflit dans le Donbass et dénonçait « les nazis » de Kiev pour justifier des ambitions impérialistes au centre de l’Europe.
On pourrait aligner sans fin les exemples où « la nuance » a totalement manqué à la rhétorique des Insoumis. Mis en difficulté, ils l’appellent à leur secours, tandis que leurs partenaires de la NUPES commencent à se demander s’ils ont si bien fait de se mettre à la remorque de ces discours… sans nuance. Disons, de manière nuancée, qu’il est un peu tard…
Crédit photo : La langue française