La gauche dos au mur

Laurent Joffrin | 03 Janvier 2022

Les voies de l’union à gauche sont décidément impénétrables. Faute d’un ou d’une cheffe de file qui se détache sans discussion, sept candidatures continuent de s’affronter. La primaire serait bien une solution. Mais deux impétrants, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, ont décidé qu’elle ne les intéressait en rien. À partir de là, elle perd l’essentiel de son intérêt. Et pourquoi Anne Hidalgo irait-elle concourir dans une compétition limitée à un segment de la gauche, avec une procédure qu’elle récuse et une plate-forme dont plusieurs points sont problématiques ? Christiane Taubira y croit. Mais sa démarche est ambiguë. Elle ne veut pas être « une candidate de plus ». Elle l’est néanmoins : adoubée par la « primaire populaire », sa candidature s’ajouterait par nature aux autres.

La raideur de Mélenchon et Jadot peut se comprendre : le premier a toujours récusé ce processus ; le second a déjà organisé sa propre primaire. Mais il y a derrière ce refus une arrière-pensée. Insoumis et écologistes y voient l’occasion, si longtemps espérée, de se débarrasser une fois pour toutes du courant socialiste, qui a tenu le haut du pavé si longtemps à gauche. Haro sur la social-démocratie ! C’est le mot d’ordre silencieux de cette campagne. La gauche de la gauche prendrait ainsi sa revanche à la faveur d’une défaite générale.


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Les droites y trouveraient, elles aussi, leur avantage, pour ne pas dire une divine surprise. Sans les socialistes, c’est-à-dire sans un PS en état de marche, elles n’auraient en face d’elles que deux tronçons, l’un très vert et l’autre très rouge. LFI deviendrait le premier parti de la gauche et l’échec de Jadot laisserait le champ libre à l’écologie fondamentaliste. Au lieu d’une coalition dominée par les réformistes, seule capable de ramener à la gauche les électeurs passés de l’autre côté, on n’aurait plus que le discours incantatoire d’une radicalité minoritaire. Un bonheur pour les forces conservatrices : point de gauche crédible, républicaine, laïque et écologique à la tête d’un ensemble victorieux, donc point de réformes fiscales désagréables, point de nouveaux droits pour les travailleurs, une limitation – ou un recul – de l’État-providence et des services publics, un nouveau retard dans la lutte pour le climat, un moratoire sur les réformes de société qui heurtent la tradition, une politique de sécurité et d’immigration beaucoup plus dure, etc.

Tout cela n’est guère réjouissant, il faut bien le dire. Mais dans ces conditions, le dos au mur, la gauche réformiste n’a qu’une seule solution : se battre pied à pied pour ses idées, montrer que ses solutions, comme c’est le cas dans nombre de pays européens, sont les seules à même de réduire, ici et maintenant, les injustices sociales, d’éviter la fragmentation du pays et de conduite une mutation écologique grâce à la maîtrise démocratique de l’économie de marché. Hors de ce combat, mené avec opiniâtreté en dépit des difficultés, point de salut.

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages