La gauche survit - Lettre politique #102

Laurent Joffrin | 21 Juin 2021

C’est un des défauts de la démocratie : on ne peut jamais être sûr, à l’avance, du résultat d’un scrutin. Règle respectée pour ces régionales.

On attendait une forte poussée RN, une gauche en recul, des macronistes en faiseurs de rois. Rien de cela : contre toute attente, les lepénistes déchantent, la gauche se requinque et la REM est jivarisée. La surprise a même un effet comique à l’extrême-droite. Le RN, cherchant ses électeurs disparus tel Harpagon sa cassette, invoque les enquêtes d’opinion pour dénoncer un « biais » dans le scrutin. C’est bien la première fois qu’un parti politique juge les sondages plus légitimes que l’élection...

Conclusions prudentes, toutefois : l’abstention, « abyssale » selon le mot d’un ministre, interdit tout commentaire péremptoire. Un calcul élémentaire conduit même à des interrogations vertigineuses : avec deux tiers de non-exprimés, on peut gouverner une région en ayant pas réuni plus de 17% des voix (soit la moitié du tiers des inscrits, qui donnent 51% des votants, bon score en apparence, minuscule en fait). C’est-à-dire qu’on se dispose à gouverner une population qui, à plus de 80%, n’a pas voté pour vous. De même le parti LREM, qui domine l’Assemblée de la tête et des épaules depuis quatre ans, vient de réaliser un score moyen inférieur à 5% des inscrits. Un pouvoir assis sur une tête d’aiguille...


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Entre indifférence, colère, rejet, découragement, le taux de non-votants montre que la crise démocratique continue de s’approfondir. Persuadés que ces élections ne changeront pas grand-chose à leur vie (ce qui est faux), installés dans un mépris de la classe politique que les médias et l’air du temps ne cessent de favoriser (ce qui est injuste), les jeunes, les classes populaires, mais aussi d’autres catégories, se détournent des urnes. On peut se demander si l’instauration du vote obligatoire ne serait pas une mesure de salut démocratique. Mais elle ne dispensera pas d’une action en profondeur sur les causes du mal...

La droite a néanmoins gagné ce premier tour, sans contestation possible. Peut-on en inférer un rétablissement au niveau national ? Pas sûr. Elle avait déjà gagné les municipales, sans effet sur les rapports de forces nationaux. Tout se passe comme si deux scènes politiques coexistaient désormais, l’une nationale et l’autre locale, sans grande communication entre elles. Un seul fait solide de ce côté : en fort progrès d’un scrutin à l’autre, Xavier Bertrand recueillera sans doute, dans la compétition interne à la droite, les fruits de son travail de terrain acharné. Il est désormais le favori du camp conservateur. Du coup, Emmanuel Macron, dont le parti ressemble désormais au spectre d’un fantôme d’hologramme, voit émerger un concurrent potentiel pour le premier tour, qui reprendrait à En Marche et au RN une partie de leurs électeurs, au nom d’une droite sociale et sécuritaire.

Même fêlure, même si elle est moindre, dans le socle qui doit porter Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. L’abstention a désavantagé son parti, c’est un fait. Mais pourquoi n’a-t-elle pas réussi à mobiliser ses électeurs malgré l’omniprésence des thèmes de l’insécurité et de l’immigration dans le débat public ? Peut-être, après tout, d’autres questions préoccupent-elles les électeurs, dont elle parle fort peu. L’emploi, le pouvoir d’achat, la précarité, la santé n’ont pas disparu de la vie sociale, ce qui restaure, on peut l’espérer, la pertinence du débat droite-gauche, en lieu et place de l’obsession migratoire et identitaire.

Reste la gauche, qui tire son épingle du jeu. Forts de ses sortants, le PS n’est pas sorti. En nombre de voix, il surpasse les écologistes, qui ne peuvent plus prétendre se substituer à lui. Mais dans les régions de conquête, les Verts sont légèrement devant et, surtout, les scores socialistes sont très au-dessous de la moyenne nationale. Ce qui démontre une nouvelle fois l’urgence du renouveau et de la recomposition dans ce secteur du paysage politique.

Au total, la gauche dans ce scrutin dépasse les 30%, ce qui dénote une amélioration. Elle est toujours à la traîne. Mais elle reste dans la course.

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages