La lettre politique de Laurent Joffrin #14 - La République est un combat

Laurent Joffrin | 20 Octobre 2020

La République est un combat

La réaction doit être à la mesure de l’attaque. Toutes les victimes du terrorisme sont bien sûr égales. La solidarité doit être la même avec un prêtre égorgé, un gendarme tué, comme le commandant Beltrame, avec des policiers de la préfecture, des passants tués au hasard, des dessinateurs ou des journalistes de Charlie, qu’avec le professeur assassiné vendredi dernier. Pourtant on sent bien que le meurtre de Conflans a pris une résonance particulière. D’abord parce qu’il survient peu de temps après l’attentat commis devant les anciens locaux de Charlie. L’accumulation des meurtres barbares éprouve de plus en plus durement l’opinion, qui réclame à juste titre une action renforcée. Ensuite, et peut-être surtout, parce que l’attaque a frappé un enseignant dont on voit bien qu’il rappelle à tous les Français les professeurs dévoués, ouverts, courageux, qu’ils ont eux-mêmes connus dans leur jeunesse. Ce sont aussi ces souvenirs républicains, socles de la vie sociale, qu’on assassine. Enfin parce que la victime a été choisie à dessein, après une campagne de diffamation et de haine sur Internet, et parce qu’elle symbolise justement ces valeurs de liberté et de savoir rationnel que les intégristes ont en horreur. Le défi est lancé sciemment, ouvertement, à la République : la République doit se battre.

La République, c’est-à-dire tous les républicains, mais notamment la gauche, qui a fait de la défense de ces valeurs sa raison d’être. C’est donc à la gauche, sur la base de ses principes, de prendre la tête du combat contre l’intégrisme et le terrorisme, un combat qui est certes policier, judiciaire, mais aussi politique, social et moral. Dans ce domaine, il faut bien le dire, les arguties d’une certaine gauche identitaire, encline au relativisme le plus pernicieux, n’ont guère aidé au nécessaire armement moral. A force d’entretenir des liens douteux avec des organisations liées à l’intégrisme, jusqu’à manifester avec elles, on finit par perdre tous ses repères. 

A cet égard, la dissolution de certains groupes qui diffusent l’obscurantisme, qui prêchent la haine, qui favorisent la violence, n’aurait rien de choquant, pas plus que la fermeture de la mosquée de Pantin, qui a diffusé en ligne la vidéo dénonçant Samuel Paty. C’est le gouvernement du Front populaire qui a appliqué le premier les décrets-lois de janvier 1936 permettant d’interdire les ligues fascisantes, une législation qui a évolué au fil du temps et qui est toujours en place. L’islamisme violent – ou celui qui encourage la violence – quoique différent, est un ennemi tout aussi redoutable que les ligues des années trente, un ennemi de la démocratie en général, mais aussi un ennemi de la gauche en particulier, en raison de son attachement à la liberté de critique et à la laïcité. Les lois existent, elles doivent être appliquées. A une seule condition : que les mesures prises restent dans ce cadre, celui de l’état de droit. On ne saurait faire preuve d’arbitraire, dans ce domaine comme dans les autres. On s’étonne, d’ailleurs, que si des groupes ont enfreint la loi, on ne les ait pas interdits plus tôt…

Les saines réactions d’autorités musulmanes, comme le recteur de la mosquée de Paris ou le président du Conseil français du culte musulman, doivent être mises en valeur. Ceux-ci ont bien compris, comme tant de nos compatriotes musulmans, que la laïcité est pour eux un bouclier contre l’intolérance et une arme contre l’intégrisme, qui les menace souvent au premier chef. 

Il faut ensuite parer un risque, que chacun pressent. Celui de voir les professeurs, obéissant à une prudence compréhensible quand il s’agit de sécurité physique, céder à une forme d’autocensure dès qu’ils abordent des sujets dénoncés par l’islamisme radical. Les professeurs doivent être encouragés, soutenus et récompensés pour leurs efforts d'enseignement de la laïcité. Tous ceux qui contestent cet enseignement doivent comprendre qu'ils s'exposent à des sanctions graves. Et dès qu’une menace est formulée à l’égard d’un enseignant, serait-elle insidieuse, ses auteurs doivent être poursuivis et condamnés. Il faut aussi revoir les dispositifs publics de formation et d’accompagnement à la citoyenneté et aux valeurs de la République. Ces formations doivent commencer dès l’école primaire pour faire des valeurs communes un des savoirs élémentaires. D’autres initiatives symboliques sont nécessaires : par exemple la diffusion à la rentrée, dans toutes les classes de France à partir de la 4ème, du documentaire de Daniel Leconte, C'est dur d'être aimé par des cons, comme le propose Caroline Fourest. On doit aussi généraliser le travail de Sophie Mazet – Autodéfense intellectuelle. Elle y a développé une méthode de formation des élèves au débat et au sens critique qui fait autorité. On peut aussi créer une récompense annuelle sur la meilleure initiative en matière d'enseignement de la laïcité. On doit enfin sanctionner tout prosélytisme religieux dans l’enceinte de l'école. Le témoignage d’un élève de 12 ans du collège de Conflans, sur « C politique » dimanche soir, qui décrit le prosélytisme de certains de ces camarades dans la cour de récréation, est éloquent.

Bref, la gauche doit retrouver ses réflexes historiques de lutte pour la liberté et de combat contre l’obscurantisme religieux. Ce n’est pas un retour aux anciens temps. C’est un défi d’avenir.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages