La tentation autoritaire - Lettre politique #93

Laurent Joffrin | 21 Mai 2021

Le Conseil constitutionnel invalide sept des vingt-deux articles composant la « loi de sécurité globale » et, notamment, sa disposition la plus controversée qui prévoyait de sévères sanctions pour ceux qui filmeraient des policiers avec une intention maligne. Article jugé trop flou et envoyé sans cérémonie à la poubelle par les neuf sages. Comme quoi les opposants qui protestaient contre ledit article avaient vu juste.

Ce revers juridique illustre une question plus large : à force d’empiler les nouvelles lois destinées à lutter contre la délinquance, le terrorisme ou le virus Covid 19, la protection des libertés publiques en France finit par être dangereusement écornée. Drôle d’ambiance, à vrai dire. Double état d’urgence, sécuritaire et sanitaire, réformes passées sous le coup de faits divers (très graves néanmoins, personne ne le nie…), exercice vertical et solitaire du pouvoir, débordements policiers à l’occasion des manifestations, pressions incessante de la droite et de l’extrême-droite pour réduire le champ des libertés, raidissement de l’opinion qui demande une autorité plus forte, pétition de généraux en retraite qui agitent le spectre d’une guerre civile, exigences exorbitantes de certains syndicats de policiers qui veulent une justice nettement plus répressive : ces derniers mois, dans le feu des crises, tout concourt à amoindrir, raboter, affaiblir, délégitimer ce principe pourtant inscrit au fronton des bâtiments publics : celui de la liberté.


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Évitons la caricature. Nous ne sommes pas tombés en tyrannie (sauf pendant les confinements, temporaires fort heureusement). Les garde-fous remplissent leur rôle (le Conseil constitutionnel par exemple) et la liberté garantie par la loi reste la règle. Mais les exceptions se multiplient. On connaît le pervers mécanisme qui se développe dans ce genre de circonstance : les mesures prises répondent à des situations d’urgence, elles sont présentées comme des concessions transitoires à la nécessité. Pourtant les réformes législatives sédimentent ; la situation change mais elles demeurent. On devine ce qu’un pouvoir aux penchants plus autoritaires pourrait en faire.

L’habitude de l’obéissance, installée pendant la crise sanitaire, perdure après la pandémie ; une fois le précédent éprouvé, on arguera que des contraintes acceptées pour lutter contre un virus vaudront aussi bien pour combattre d’autres menaces. On se souvient du texte visionnaire de La Boëtie sur la « servitude volontaire » : c’est le consentement, tacite ou explicite, qui fonde pour l’essentiel la force de la tyrannie.

Tout pouvoir, même le plus démocratique, est tenu de réagir au fléau de la pandémie ; de la même manière, on ne peut passer sous silence l’augmentation des violences aux personnes dans la société française et donc nier la nécessité d’un plan global de lutte contre la délinquance, qui frappe en priorité les classes populaires. Mais justement : les lois existent déjà, le code pénal français comporte déjà nombre de dispositions qui permettent à la justice de réprimer les crimes et les délits. La boulimie législative, tentation de tout pouvoir confronté à l’émotion de l’opinion et voulant donner le sentiment – l’illusion ? – qu’il agit, est une facilité dangereuse. Un crime : une loi ; un virus : une autre loi ; un attentat, encore une loi, etc. Alors que c’est souvent le défaut d’application des anciennes lois qui se manifeste, et non leur supposé « laxisme ». Renforcer les moyens policiers, accroître nettement ceux de la justice, notoirement sous-équipée en regard des moyennes européennes, accroître les crédits de l’administration pénitentiaire pour rendre les prisons enfin conformes aux normes humaines et développer l’accompagnement social et éducatif des détenus [1]: ce sont les seules solutions logiques, plutôt qu’une frénésie législative qui n’a d’autre effet que de constituer un inquiétant arsenal répressif pour l’avenir.

Frénésie à laquelle le macronisme d’État, comme tout pouvoir de droite, cède plus qu’à son tour. Le « en même temps » initial n’est qu’un souvenir. C’est le temps électoral qui prévaut : rallier les électeurs de droite pour assurer la reconduction du président. Les libertés passent ensuite…

[1] On se reportera aux propositions énoncées dans la plateforme des Engagés.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages