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La tentation factieuse - Lettre politique #86
L’appel signé par vingt généraux – plus qu’un « quarteron » donc –, soutenu par des centaines d’officiers et publié par Valeurs Actuelles, doit être pris au sérieux. Appel putschiste ? Pas exactement. Ceux qui préparent un coup d’État évitent généralement d’avertir le pouvoir en place par voie de presse. D’autant que leur qualité de retraités évoque moins les bruits de botte que les raclements de chaussons.
Mais appel à connotation factieuse, à coup sûr : on peut boire sa camomille et lever le bras en même temps. Un millier de militaires au moins, souvent des soldats d’active selon les dires des signataires, soutiennent cette philippique nationaliste chargée de haine, qui agite la menace d’un pronunciamento militaire susceptible de ramener l’ordre dans un pays décadent tombé aux mains des « mondialistes ».
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Les intéressés s’en défendent. Ils voulaient parler, dixit le rédacteur du texte, des interventions de l’armée demandées par l’autorité politique en cas de crise. Bons apôtres, ils se disent « ni de droite, ni de gauche ». C’est exact : tous ceux parmi eux qui ont un pédigrée politique sont répertoriés dans les rangs de l’extrême-droite. Ils prétendent prévenir une intervention de l’armée dans la politique française et non l’appeler de leurs vœux, éviter la guerre civile plutôt que la provoquer.
Alors procès d’intention ? Certes non : il suffit d’analyser le texte de ces Alcazar du terroir, publié soixante ans après le putsch de 1961 à Alger, pour s’en rendre compte. Citons leur conclusion : « Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national. »
Ainsi « l’intervention de nos camarades d’active » non seulement n’est pas condamnée dans le texte alors qu’elle serait évidemment d’une parfaite illégalité, mais elle est justifiée à l’avance par l’impuissance du gouvernement civil. Éternelle rhétorique, au vrai très française : un général décide de s’arroger les pleins pouvoirs – Bonaparte, Boulanger, Pétain, Salan – pour débarrasser le pays des bavards des assemblées et des lavettes du gouvernement républicain, le tout au nom de « l’honneur de l’armée » et du salut national. Air connu.
Mêmes sous-entendus dans la dernière phrase : « On le voit, il n’est plus temps de tergiverser sinon, demain, la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts dont vous porterez la responsabilité se compteront par milliers. » On aurait pu croire que « le chaos » viendrait précisément de la « guerre civile ». Erreur. Cette « guerre civile » aurait pour fonction de « mettre un terme » au chaos. Autrement dit, on comprend qu’elle serait déclenchée, non par les civils, mais par les militaires, qui décideraient de recourir aux armes pour sauver le pays, quitte à provoquer un bain de sang, dont la responsabilité est à l’avance imputée à la classe politique « mondialiste ». Quoiqu’émanant de « la grande muette », le discours est éloquent.
Cet appel des généraux inquiète non par l’identité des signataires, pour l’essentiel des vieilles ganaches nostalgiques, mais parce qu’elle est un symptôme. Publié par Valeurs Actuelles, approuvé par Marine Le Pen, il montre que l’extrême-droite a décidé de parler de plus en plus haut. Légaliste en principe, le RN soutient un appel qui fait planer la menace d’une intervention factieuse. C’est ce qui s’appelle jeter le masque. Et dans sa mouvance, ou dans sa proximité idéologique, on en revient de plus en plus à l’ancienne tentation illégale et autoritaire de l’extrême-droite de toujours. Tous les républicains doivent s’en alarmer.