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La vérité sur Zemmour - Lettre politique #113
La mollesse avec laquelle droite et gauche républicaines répliquent à Éric Zemmour - l’une par complaisance, l’autre par négligence - a quelque chose de désespérant.
Une grande partie de la droite flaire la bonne affaire : en se divisant entre le polémiste maurrassien et la cheffe national-populiste, l’extrême-droite s’exclurait du second tour, ouvrant la voie à une qualification LR. Du coup, les leaders de droite laissent faire, à l’exception de quelques individualités un peu plus lucides, tels Damien Abbad ou Christine Boutin (!!!). Alors que les thèses zemmouriennes, pénible resucée du nationalisme de la première moitié du XXème siècle, se situent à l’opposé de toute les traditions libérales, gaullistes ou démocrates-chrétiennes. Quant à la gauche, en dehors de l’invocation rituelle des « heures sombres » et « de thèses nauséabondes », elle néglige d’analyser sérieusement les livres de Zemmour, se contentant de psalmodier quelques prières d’exorcisme. Mélenchon a bien affronté Zemmour à la télévision ; il l’a surtout intronisé comme candidat possible et réalisé un coup de communication à son avantage.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Or Zemmour, sur la base d’une lecture à peine modernisée de Bainville et Maurras, déroule une idéologie de fer, appuyée sur des exemples érudits, biaisés et qui méritent réfutation systématique. Rappelons sa thèse centrale. Selon lui, comme pour l’extrême-droite du premier XXème siècle, seuls les « Français de souche » ou les immigrés totalement assimilés (c’est-à-dire qui ont tout renié de leur identité d’origine) ont leur place dans la nation. L’identité française, dit-il, fondée sur un catholicisme impérieux, s’est fixée une fois pour toutes sur cet héritage chrétien. Depuis que les droits de l’individu autonome sont apparus (pendant la Renaissance, prolongée par les Lumières et la Révolution française), cette société a entamé une décadence qui a fini par transformer le peuple français en amas disparate de citoyens « craintifs et capricieux ». Ils sont dès lors incapables d’affronter les défis du monde, à commencer par le « grand remplacement », thèse selon laquelle 90% de non-musulmans présents en France seront remplacés à terme par 10% de musulmans, changés en nouveaux « colonisateurs ».
De ces prémisses aberrantes, il déduit que la présence en France de représentants de « la civilisation musulmane » est un danger mortel pour le pays. Pour soutenir son syllogisme, il confond volontairement la minorité islamiste avec la grande majorité des musulmans qui, en fait, s’intègrent à la société française, demandant seulement une place au soleil. Du coup, il en tire l’impératif majeur de préserver la pureté ethnique de la nation, en faisant fi des principes « abstraits » de droits humains.
Si l’on n’est pas convaincu par ce résumé, on fera l’effort de lire les deux derniers livres du folliculaire. Comme le remarque Jean-François Kahn dans un article du Point, on trouve chez Zemmour les énormités nées d’un nationalisme obsessionnel, qu’on n’avait pas connues depuis les années trente. Par exemple, un éloge de la Saint-Barthélemy, une critique du règne plus tolérant d’Henri IV et une apologie de la révocation de l’Édit de Nantes, pour la raison que les protestants menaçaient l’unité du royaume : il fallait donc les expulser, comme aujourd’hui les musulmans.
On y lit encore, rappelle Kahn, une philippique contre Voltaire, « un nihiliste, un démolisseur qui nous a imposé la pernicieuse fascination des grands principes : la liberté de parole et le commerce, la liberté de croire et de ne pas croire, les droits de l’homme et la tolérance. » On y voit la détestation de Hugo, de Zola ou de Clemenceau, coupables d’avoir promu les Lumières, les Droits de l’Homme et la République.
On y lit aussi que les actions des résistants contre les soldats allemands, de 1940 à 1944, « étaient non seulement contraires aux règles de l’armistice mais, surtout, au code de la guerre » (que les nazis respectaient scrupuleusement, bien sûr !). Certes, écrit Zemmour, le gouvernement de Vichy contribua à intégrer la France dans un nouvel ordre européen instauré par l’Allemagne hitlérienne. Mais, ajoute-t-il, « de Gaulle, lui, en entérinant l’entrée dans le marché commun, contribuera à intégrer la France dans l’ordre européen instauré par les États-Unis et bientôt dominé par l’Allemagne ». Pétain-De Gaulle, du pareil au même ! La France pétainiste, poursuit Zemmour, s’est alignée sur le vainqueur. Et alors ? « Nous-mêmes, ne nous sommes-nous pas alignés sur les États-Unis après la victoire américaine ? » Et puis, ajoute-t-il, « renvoyer le boomerang allemand vers les Anglais », comme le fit Laval, « ce n’était pas une mauvaise idée ». Au demeurant, Pétain, lui, « contrairement à de Gaulle, n’a pas réalisé de coup d’État ». D’ailleurs, en 1944, qu’avons-nous fait, sinon réaliser une révolution politique (le rétablissement de la République) sous l’œil de l’occupant comme Pétain en 1940 ?
Les conséquences de ces théories sont implacables. En premier lieu : arrêt total de l’immigration, au mépris de toutes les conventions européennes et internationales, de tous les principes élémentaires des droits humains (les réfugiés, dehors !). Et comme cette rupture s’accompagne d’un retour au protectionnisme en matière économique, Zemmour propose en fait, et de manière hypocrite (il ne parle pas de sortir de l’euro…), une rupture de la France avec l’Union européenne. Il ne parle pas du « Frexit » : il veut le faire.
Une fois cette politique adoptée, les cinq millions de musulmans présents en France y seront toujours. Il s’agira alors de les faire partir par tout moyen, selon toutes probabilités à la faveur de mesures d’exception qui mettront la France au ban des nations démocratiques. On y ajoutera des réformes sociétales réactionnaires conformes aux conceptions de Zemmour en matière d’égalité femmes-hommes et de droits des minorités sexuelles. Seront alors soumis à une révision générale : le mariage pour tous, la PMA, les lois de parité femmes-hommes, etc.
Bien évidemment, cette politique divisera le pays comme jamais depuis la guerre. Il s’ensuivra des protestations virulentes. Mais les républicains de tous bords qui refuseront cette immense régression – un nombre considérable de Français, selon toutes probabilités - se verront alors menacés dans leur liberté : ils seront privés des protections offertes par les règles constitutionnelles et les conventions internationales qu’on aura préalablement dénoncées.
Et si l’on poursuit cet exercice de politique-fiction cauchemardesque, la France de Zemmour deviendrait alors un pays officiellement raciste et islamophobe, une semi-démocratie, une « démocrature » identitaire, isolée en Europe, rangée dans le camp des régimes autoritaires et fermés, coupé des flux économiques et culturels internationaux.
Et la droite républicaine reste inerte ! Et la gauche se contente de protestations de principe !