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Toute la laïcité, rien que la laïcité - Lettre politique #40
Les observateurs étrangers, dit-on, « ne comprennent pas » ce qu’est la laïcité à la française, dont on a célébré l’anniversaire le 9 décembre dernier. Ils y voient une forme de sectarisme, de persécution des religions, de domination des athées sur les croyants. Certains journaux anglo-saxons expliquent par exemple que c’est la laïcité à la française, trop répressive, qui explique les attentats islamistes commis sur notre sol (alors qu’il y en a partout, notamment en terre musulmane).
La lettre politique de Laurent Joffrin #40 | S'abonner
Il y a dans ces réactions, il faut le dire, une grande part de mauvaise foi. La loi de séparation de 1905, qui consacre le principe de laïcité de l’État, est pourtant (sans jeu de mots) d’une simplicité évangélique. La République garantit la liberté de conscience et de culte (on peut croire ou ne pas croire, pratiquer ou non) ; elle proclame la neutralité de la puissance publique, qui s’abstrait de toute influence religieuse et ne privilégie aucun culte. Les deux premiers articles sont clarissimes : Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […]. » Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte […]. » Pas difficile à comprendre.
Aussi bien, la loi de 1905 n’est pas une loi « de combat » mais un compromis. Elle a donné lieu à de furieuses batailles parce que l’Église catholique, dans sa majorité (et par la voix du pape), considérait qu’il y avait là une agression contre ses dogmes et, surtout, qu’elle y perdait l’influence hégémonique qu’elle exerçait jusque-là. Il fallut donc faire preuve de fermeté, imposer la séparation à une grande partie de la société qui y était rétive, et affronter les menées antirépublicaines de la hiérarchie catholique et de la droite réactionnaire.
Mais ce fut aussi une loi de conciliation, sous l’influence du rapporteur du projet, Aristide Briand, républicain-socialiste, et de son ami Jean Jaurès, leader du socialisme français. Les modalités d’application de ces principes furent donc négociées avec les catholiques, pour trouver sur chaque point concret (le patrimoine de l’Église et son inventaire, les cérémonies publiques, les aumôneries, etc.) un point d’équilibre qui assure à la fois la neutralité de la puissance publique et la liberté de culte.
Telle est la « laïcité à la française » : rigueur dans le respect des principes et souplesse dans leur mise en œuvre. Point besoin, dès lors, de qualifier la laïcité (ouverte, fermée, souple, rigide, etc.). La laïcité française se suffit à elle-même, sans qualificatif. On est laïque, point. C’est la garantie de l’équité (entre les religions, entre les croyants et les non-croyants, grâce à la neutralité de l’État) et de la liberté (pour les cultes, notamment). C’est un des piliers de notre régime républicain.
Les difficultés, aplanies au fil des décennies avec le catholicisme, sont venues, non de l’islam, dont les fidèles et les représentants officiels acceptent dans leur grande majorité ces principes, mais des partisans minoritaires d’un islam de combat. C’est le grand oubli des contempteurs de la fermeté républicaine, qui l’accusent de « stigmatiser l’islam ». Ils négligent volontairement le fait que l’esprit de la loi de 1905 est attaqué par des groupes – ou des individus – qui souscrivent à une conception rétrograde de la place de la religion dans la société, qui veulent influer sur les programmes scolaires ou les méthodes pédagogiques, qui exigent la reconnaissance de leur religion au sein de l’État (par exemple en imposant le port du voile islamique dans l’école ou dans les administrations), les tenues islamiques dans les piscines publiques en contradiction avec les règles d’hygiène, qui cherchent à conquérir la maîtrise des mosquées au nom d’une interprétation littérale et sectaire de l’islam où la charia surpasserait en légitimité les principes républicains, etc. Et pour certains d’entre eux, ils n’hésitent pas à recourir à des méthodes violentes – et même barbares – pour imposer leurs vues, par exemple pour interdire le blasphème, pourtant licite en France (voir l’attentat contre Charlie, ou contre le professeur Samuel Paty).
Quiconque en doute se reportera aux enquêtes sociologiques ou journalistiques sur la question, ou bien, en matière scolaire, liront le livre de l’ancien inspecteur général de l’Éducation Jean-Pierre Obin, qui détaille avec une précision incontestable les tentatives d’atteinte à la laïcité émanant des familles intégristes, des jeunes ralliés à cette cause ou victimes de préjugés archaïques, ou encore des militants salafistes ou Frères musulmans qui s’autoproclament représentants de l’islam. Ces menaces sont réelles, nombreuses, parfois meurtrières. Ce n’est pas « stigmatiser l’islam » ou se lancer dans un dérapage liberticide ou raciste que de tenter de s’en prémunir, par exemple en contrôlant mieux les associations subventionnées, en surveillant les mosquées quand certains imams tiennent des propos violents ou haineux ou en s’efforçant de ramener à l’école publique les quelques milliers d’enfants qui y sont soustraits par des familles intégristes.
On peut ensuite discuter mesure par mesure, vérifier que telle ou telle disposition ne comporte pas d’effet pervers, ne contrevient pas aux principes généraux du droit ou bien ne s’attaque pas aux musulmans en général, ce qui est le contraire du but recherché. Mais le sens global de ces mesures est légitime : la République attaquée a le droit de se défendre.
Certains à droite voudraient aller beaucoup plus loin et réclament des mesures beaucoup plus larges et coercitives. Ils méconnaissent tout autant le sens de la « laïcité à la française », c’est-à-dire la laïcité tout court. L’interdiction du foulard islamique dans l’espace public, parfois réclamé, est contraire à l’esprit de 1905. Certains républicains plus rigides demandaient, de la même manière, l’interdiction des soutanes ou des cornettes catholiques dans la rue. La proposition a été écartée : la liberté de culte suppose une certaine liberté d’expression dans l’espace public et, plus concrètement, on voyait mal demander aux policiers de faire la chasse aux abbés ou aux religieuses en costume. Même chose aujourd’hui : la soutane reste libre, tout comme la croix ostensible, la kippa ou le foulard (seule la burka est interdite, même si la Covid a – provisoirement – changé la donne). Idem pour les commerces halal : ils ont droit de cité, tout comme les commerces casher. On doit encore faire preuve de conciliation en n’essayant pas à toute force de faire consommer du porc aux enfant de familles musulmanes dans les cantines scolaires. Cet interdit alimentaire concerne tous les musulmans (et les juifs), et pas seulement les intégristes : inutile d’entrer en conflit avec ces deux religions sur une question parfaitement subalterne.
Telle la ligne de crête à tenir : la laïcité est un principe fondamental qui protège les religions mais les tient à leur place ; elle inspire la lutte contre l’intégrisme. Mais elle ne saurait servir de machine de guerre contre telle ou telle religion.