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Le grand Charles et Éric le minus
La lugubre vidéo qui a servi de viatique à l’annonce officielle du candidat deux fois condamné pour propos racistes a un grand mérite. Elle révèle en quelques minutes, au-delà d’un discours de propagande, le véritable projet politique du nouveau sauveur de la France.
Micro géant sur la droite et, sur la gauche de l’écran, un locuteur solennel lisant des feuilles dactylographiées : c’est un pastiche grossier, chacun l’aura compris, de l’appel du 18 juin prononcé à la BBC par le général De Gaulle en 1940. Insistante, volontaire, la métaphore dit tout. Ainsi, selon Zemmour, la France est occupée, il faut la libérer. Occupée par qui ? Par les musulmans, bien sûr, qui sont donc les nouveaux nazis, tout comme le gouvernement français est un ramassis de collabos, dirigé par le nouveau Pétain, Emmanuel Macron. Nuance, finesse et subtilité…
Pour un citoyen de bon sens, tout cela est grotesque. Mais tout cela n’est pas sans conséquences. Les musulmans dont parle Zemmour, dans leur immense majorité, sont en toute légalité en France et, de surcroît, sont le plus souvent des Français : il faut néanmoins, si l’on prend la métaphore de l’Occupation au sérieux, bouter hors de France ces envahisseurs. Comment, sinon par la force, à la faveur d’une grande crise nationale ? A cela, il ajoute en conclusion : « Vive la République et, surtout, vive la France ! » Le « surtout » est éloquent : il hiérarchise les deux notions. La France est éternelle (soit), mais la République est contingente. Ainsi la mise en scène potache du clip dit l’essentiel sur son auteur : Zemmour est le candidat de l’effacement de la République et de la guerre civile.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Le reste de la vidéo file une autre métaphore. Chromos des années soixante, images des vedettes d’antan, Gabin, Belmondo, Brassens, honteusement enrôlés dans cette piteuse croisade, une France fantasmée, patriote, homogène, disciplinée, souveraine et chrétienne avant tout. Au vrai, la guerre de Zemmour contre les Français musulmans n’est que la première facette d’un projet plus large : le grand retour en arrière, la réaction tous azimuts. La machine Zemmour, c’est une machine à remonter le temps. Son projet d’avenir, c’est le retour au passé. Utopie à l’envers, obsession de pureté, sacralisation du « c’était mieux avant ».
Tout le contraire, en somme, du message gaullien. Le Général n’a jamais prôné le retour en arrière. En 1940, il oppose le grand large et la victoire future au défaitisme du repli hexagonal. En 1944, il exalte une France de l’avenir, tendue vers la modernité, refondée par le programme progressiste du Conseil National de la Résistance. En 1958, il se dégage du passéisme colonial et impose une république nouvelle, lançant maints projets de rénovation économique et industrielle. Et s’il bénéficie aujourd’hui d’une sorte de consensus, en dépit de son autoritarisme et de ses penchants conservateurs, c’est bien parce qu’il a toujours vu la France comme une nation qui épouse son temps, qui espère en l’avenir. Ce temps que Zemmour voudrait rembobiner, cet avenir qu’il conçoit, dans un prurit infantile, comme une restauration du passé.
Ce qui ne l’empêche pas de recueillir quelque 15% des intentions de vote. On croit que ces vaticinations ridicules le discréditeront. Rien n’est moins sûr. Trump, lui aussi, était simpliste, clownesque, menteur et insultant. Il a néanmoins gagné et gouverné la plus grande démocratie du monde. Méfiance, donc. En France, l’extrême-droite sous ses diverses acceptions dépasse le tiers des voix. Chiffre énorme que seule la dispersion entre Zemmour, Le Pen, Dupont-Aignan et Philippot rend moins menaçant. Il ne suffira pas d’en relever les outrances et les ridicules. À cet avenir difforme et grimaçant, il faut opposer une vision de la France qui réinvente le progrès, qui mobilise les forces du travail, qui tienne la promesse républicaine. C’est l’enjeu de la campagne qui commence.