Le mirage de la radicalité

Laurent Joffrin | 05 Octobre 2022

L’expression revient sous la plume de plusieurs éditorialistes : l’air du temps est à la radicalité. Écologie radicale, radicalité décoloniale, radicalité intersectionnelle… L’action et les discours de ces courants bruyants et activistes recueille la compréhension, sinon l’approbation, de tout un milieu médiatique et intellectuel. La radicalité plaît, elle est à la mode, elle anime le débat public, elle draine les électeurs, qui offrent volontiers leurs votes aux partis extrêmes, Rassemblement national d’un côté, France insoumise de l’autre (sur des positions radicalement différentes, bien sûr).

On en trouve la traduction à l’Assemblée, où le RN et LFI animent les débats, quoique dans un style différent. L’extrême-droite, qui se juge assez visible désormais, sans rien renier de sa radicalité sur le fond, cherche à se banaliser, à se civiliser, tandis que LFI, qui domine la NUPES de la tête et des épaules, se distingue par son agressivité vociférante, ses philippiques sommaires, ses attaques incessantes et souvent insultantes contre ses adversaires.

La radicalité montant des profondeurs, pensent-ils, (à cause de la crise écologique, des injustices sociales, de la protestation populaire contre un certain mépris gouvernemental ou présidentiel), les députés mélenchonistes ont théorisé une forme d’opposition abrupte et bruyante dont ils estiment qu’elle attirera à elle les classes populaires et, au passage, tous ceux qui contestent la majorité macronienne au pouvoir.

Tout cela paraît logique, et pourtant… L’enquête d’IPSOS réalisée pour la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof, publiée par Le Monde, jette un pavé dans cette mare qu’on dit tempétueuse et qui, en fait, ne l’est pas vraiment. Pour être clair, il en ressort même que LFI, en cultivant la violence verbale, scie la branche sur laquelle elle est assise et, avec elle, la gauche tout entière. Quand on interroge les Français sur son comportement à l’Assemblée, LFI ne recueille que 24 % d’approbation, derrière le RN, mais aussi derrière LR, le PS, Europe Écologie-Les Verts et le Parti communiste français. Les sondés sont même 42 % à condamner « tout à fait » les méthodes des troupes « insoumises », 53 % à juger que l’opposition des « insoumis » est trop radicale, 17 % au bon niveau et 8 % pas assez radicale. Aussi bien, il n’y a que 24 % des sondés pour estimer que LFI propose une société dans laquelle ils aimeraient vivre, le pire score de toutes les formations politiques.   


La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner


Les autres partis de gauche étant rendus médiatiquement inaudibles par les polémiques que suscite LFI, c’est toute la gauche qui est ainsi tirée vers le bas au sein d’un opinion de toute évidence bien moins radicalisée que ce que pensent nombre d’éditorialistes. Le plus inquiétant dans cette affaire, c’est que le grand bénéficiaire de ce rejet, c’est le Rassemblement national. À 39 %, les Français jugent que le parti de Marine Le Pen est capable de gouverner, contre 26 % pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, soit 13 points de moins. « Chez les ouvriers et les employés, note Brice Teinturier, co-auteur de l’étude, l’approbation reste massivement en faveur du parti d’extrême droite ».

En fait, la stratégie d’opposition brutale a un avantage, celui-là même qui fascine commentateurs et éditorialistes : elle occupe sans cesse la scène médiatique. D’où leur indulgence, mêlée de l’excitation qu’ils trouvent à défendre des thèses ébouriffantes. Mais l’écume n’est pas la vague. De toute évidence, l’opinion est plus sage que ceux qui font profession de l’éclairer. Elle condamne dans sa grande majorité le vacarme de la radicalité et souhaite une vie politique plus rationnelle et plus apaisée. Il est temps que le reste de la gauche s’en aperçoive.

 

Crédit photo :  Université de Montpellier


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Après avoir reculé piteusement sur ses mesures fiscales en faveur des riches, Liz Truss promet devant le congrès du Parti conservateur de « faire avancer la Grande-Bretagne pour la sortir de la tempête ». Une tempête qu’elle a en grande partie déclenchée en présentant un programme de gouvernement jugé irresponsable. Tancé par le FMI, désavoué par les marchés, le pays est au bord du gouffre financier. Liz Truss s’apprête donc à faire un grand pas en avant.

 

Profitant de l’attention mondiale suscitée par la guerre en Ukraine, les troupes de l’Azerbaïdjan ont attaqué l’Arménie, usant une nouvelle fois de méthodes guerrières barbares. Jusque-là, la Russie servait d’arbitre entre les deux pays et garantissait plus ou moins la pérennité de l’État arménien. Désormais concentré sur l’Ukraine, le régime de Saint-Pétersbourg laisse faire les Azéris. L’Europe soutient en principe le peuple arménien, si souvent martyrisé dans l'histoire. Mais l’Union a besoin du gaz produit par l’Azerbaïdjan…

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages