Leçon pour la gauche - La lettre politique de Laurent Joffrin #24

Laurent Joffrin | 09 Novembre 2020

Leçon pour la gauche

Le sursaut est donc possible. En mobilisant la quête de justice, la défense d’une démocratie tolérante et la volonté d’affronter les défis planétaires, Joe Biden met fin au cauchemar d’un mandat outrageant. Autrement dit, avec assez d’habileté, d’énergie, avec un programme ajusté et un discours qui parle à tous, on peut conjurer la menace national-populiste. C’est la performance que viennent de réussir les démocrates américains. La leçon vaut pour toutes les gauches.

Des sondages plus ou moins fantaisistes ont faussé la vision du scrutin. On attendait une « vague bleue », dit-on. Elle n’a pas eu lieu. L’élection est restée serrée et le résultat a tardé plusieurs jours. La résistance du trumpisme est indiscutable. Au vrai, avec un taux de participation inédit depuis plus d’un siècle ce sont deux vagues, démocrate et républicaine, qui ont submergé les urnes américaines. Mais la première a été plus forte que l’autre. Trump a gagné des millions de suffrages d’un scrutin à l’autre. Joe Biden en a gagné plus. Au bout du compte, l’écart est significatif au niveau national : plus de quatre millions de voix. Une fois les recours épuisés, l’élection de Biden sera légalisée au début décembre. Elle est d’ores et déjà légitime.

Alors comment a-t-il fait ? La désastreuse gestion de la pandémie par Donald Trump n’explique pas tout. Au demeurant, elle n’a en rien gêné ses partisans, qui se retrouvent plus nombreux qu’il y a quatre ans. La victoire démocrate a été construite avec beaucoup de patience, de travail et, il faut le dire, de professionnalisme.

Il y eut d’abord le renouveaumené par la gauche du parti, qui a imposé ses thèmes – socialistes, écologiques, antiracistes – et dégagé une nouvelle génération d’élus, dont Alexandria Occasio-Cortez, jeune représentante de New-York, est le symbole. Mais une fois battue dans les primaires par un Biden sauvé des eaux au printemps, cette gauche a joué à fond l’unité du parti, faisant ardemment campagne pour celui qu’elle avait combattu dans les premiers scrutins. Une leçon d’unité

Centriste, comme l’étaient Clinton ou Obama, Biden a néanmoins repris, moderato cantabile, les thèmes de sa gauche, promettant audace écologique, réformes sociales, investissements publics et lutte active contre les discriminations. Il a surtout évité l’erreur cardinale d’Hillary, qui avait laissé transparaître son mépris pour les électeurs de Trump et s’était avant tout reposé sur la mobilisation des minorités. Bien au contraire, ce vieux routier a compris qu’il devait reconstruire l’ancienne coalition démocrate, qui additionne le soutien des Noirs et des hispaniques à celui des ouvriers et des employés blancs. La victoire s’est dessinée quand deux Étatsde la « rust belt », le Wisconsin et le Michigan, aux industries en crise, ont basculé du côté démocrate. Au total, Biden l’emporte chez les jeunes et dans les classes éduquées, mais aussi chez les plus pauvres. Autrement dit, il a repris à Trump suffisamment de voix populaires blanches pour lui faire échec. Les victimes de la mondialisation, quelle que soit leur origine, ont donné la victoire aux démocrates, qui ont répudié le mirage de la seule coalition entre minorités et classe diplômée. Sans négliger la lutte contre les discriminations, dont Kamala Harris est le symbole optimiste, Biden a surtout parlé social et unité nationale. En tournant le dos à « l’identity politics », il a gagné.

Ce qui dessine la stratégie future des gauches qui veulent gouverner : renouer le lien avec les classes populaires, allier antiracisme et universalisme, défendre un programme de réformes écologiques et sociales, suffisamment réalistes pour reprendre ses voix à la droite. Dans nos démocraties en crise, c’est la seule voie du salut.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages