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Les calculs de l’emmerdeur
Il ne changera pas… Emmanuel Macron a eu beau tenter, au cours d’une interminable émission de télévision, d’effacer le souvenir de ses sorties à l’emporte-pièce un peu méprisantes, sa vraie nature a de nouveau pris le dessus. En disant sans ambages que sa politique de restriction sanitaire visait, entre autres, à « emmerder les non-vaccinés », il a déclenché une tempête médiatique contre-productive.
Pour être franc, on peut comprendre son agacement. Les non-vaccinés en question sont surreprésentés parmi les hospitalisés pour cause de Covid. Leur présence oblige les médecins – qui doivent évidemment les soigner à l’égal de tout malade - à décaler les interventions prévues pour d’autres patients, avec les risques afférents à ces retards, alors que la vaccination ne comporte que des risques infinitésimaux et qu’elle s’est imposée de toute évidence comme la principale arme contre la pandémie. Ajoutons à cela que les sectes « antivax », encouragées par la propagande démagogique de l’extrême-droite, incarnent la quintessence même de l’obscurantisme moderne.
Seulement voilà, Emmanuel Macron n’est pas chroniqueur sur une chaîne d’info. Son rôle n’est pas de « faire le buzz », mais de convaincre des concitoyens de la justesse des décisions gouvernementales, dans le domaine sanitaire comme dans les autres. Sa sortie rappelle celle de Nicolas Sarkozy, quand il avait répondu « Casse toi pauvre con » à un quidam qui avait refusé de lui serrer la main en arguant qu’il ne voulait pas « se salir ». La réplique était spontanée, explicable, mais elle est restée comme le symbole d’une présidence brusque et sans filtre. Le mépris affiché au sommet de l’État à l’égard des non-vaccinés n’a d’autre effet que de les mettre en rage et de les renforcer dans leur erreur.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
A moins qu’il n’y ait, derrière l’apparente maladresse, un calcul plus tortueux. En affichant sa brutalité, le président a très sciemment choisi la provocation. Son entretien est paru dans la presse écrite : il a été relu et ne peut être mis sur le compte de l’improvisation hasardeuse. Son effet politique est patent : il permet à l’extrême-droite de se lancer dans une protestation véhémente qui lui donne – comme dans l’affaire du drapeau européen – la prédominance dans cette douteuse polémique. La droite républicaine est embarrassée, tout comme le PS : elle doit protester contre le propos présidentiel, alors qu’elle s’apprête à voter pour le « passe vaccinal ». Position ambiguë, moins compréhensible par l’opinion et qui place droite et gauche dans le camp des tièdes. Dans l’affaire du drapeau européen, comme dans celle des « non-vaccinés », Macron trace une ligne de démarcation entre partisans de la rationalité et démagogues nationalistes ou obscurantistes. Zemmour et Le Pen sont mis en valeur, face à la République en Marche, apôtre de la Raison et de l’ouverture. C’est évidemment le scénario privilégié par le président de la République bientôt candidat. Face à l’extrême-droite, il a toutes les chances d’être réélu. Face à une candidature de la droite classique – ou, allez savoir, de la gauche de gouvernement – sa position est nettement moins assurée. D’où cette volonté d’installer une nouvelle fois un tête-à-tête entre un président porte-parole de la raison face à la démagogie national-populiste. Le clivage droite-gauche passe au second plan, tout comme les véritables enjeux de la période, qui portent sur la mutation écologique, les injustices sociales et la maîtrise de l’économie de marché, au profit d’un débat stérile sur l’identité nationale ou sur l’utilité des vaccins. La rhétorique « ni droite ni gauche » se pare des plumes de la modernité. Elle est surtout le signe d’une inquiétante régression.