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Mia et le trumpisme à la française - Lettre politique #85
Parfois les faits divers, qui semblent ressortir des errements malheureusement habituels de la vie sociale, prennent soudain une coloration politique. Ainsi de l’enlèvement, le 13 avril dernier, de la petite Mia, huit ans, retrouvée en Suisse quelques jours plus tard à la suite d’une remarquable enquête des services de la police française, épaulée par ses homologues helvétiques.
Selon les déclarations du procureur de Nancy, François Pérain, recoupées par les enquêtes de presse (voir Le Monde, Le Figaro, Libération), le rapt a été perpétré au cours d’une opération « Lima » à connotation militaire, par un groupe d’adeptes du complotisme à la Trump, désignés comme « survivalistes » ou « antisystèmes » et réunis sur Internet par un « gourou » exilé en Malaisie, Rémy Daillet-Wiedemann, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Lequel, selon le procureur, « apparaît comme l’animateur principal de la “mouvance” dans le cadre de laquelle s’inscrivent les mis en cause » et « aurait joué un rôle dans l’organisation de l’enlèvement ».
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Ce sympathique personnage a appartenu naguère à la garde nationale croate, rendez-vous des activistes d’extrême-droite pendant la guerre de Yougoslavie. Il professe son admiration pour un certain Vincent Reynouard, adepte de la thèse du « grand remplacement » chère à Renaud Camus selon laquelle l’Europe est menacée par une invasion musulmane. Antisémite comme il se doit, il se réfère également à l’action des Einsatzgruppen nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, qui ont perpétré la « shoah par balles ». Le même tireur de ficelles adhère enfin à la théorie « Qanon », selon laquelle il existe une conspiration pédophile mondiale des puissants (parmi lesquels un certain nombre de démocrates américains, dont Hillary Clinton) pour soumettre les enfants à leurs désirs pervers. Les militants Qanon figurent parmi les principaux soutiens de l’ancien président Trump et ont participé au premier rang à la violente invasion du Capitole à Washington.
Au terme d’un suivi constant, les services sociaux avaient estimé que la mère de la petite Mia, Lola Montemaggi, exerçait sur sa fille une influence « toxique ». Qualifiée de « marginale », elle était également adepte de théories « antisystème » et voulait, entre autres projets, déscolariser sa fille pour l’élever selon ses convictions. On craignait son « attitude antisociale », on notait qu’elle tenait des propos suicidaires et les enquêteurs avaient « une vraie inquiétude sur le fait qu’elle commette l’irréparable avec sa fille ». Les services sociaux avaient en conséquence placée l’enfant chez sa grand-mère. C’est donc par une action illégale, de type militaire, qu’un groupe de dingos survivalistes et fascisants avait décidé de livrer une petite fille de huit ans à sa mère dangereuse, au nom de la lutte contre un « État totalitaire », au nom de convictions « antisystème » et complotistes.
On pourra dire qu’il s’agit d’une secte d’activistes plus ou moins dérangés qui n’ont rien à voir avec les intellectuels ou les leaders politiques, comme Trump, dont ils se réclament. En est-on si sûr ? À force de proclamer sur tous les plateaux de télévision que le peuple français est soumis à une « invasion » extra-européenne, que « les élites » sont par définition corrompues et incompétentes, que tout progressiste est complice de ce processus de destruction de la civilisation occidentale, que les mesures de précaution sanitaires édictées par les autorités annoncent l’instauration d’un ordre totalitaire, que les vaccins sont un moyen de contrôler les populations rétives, ou encore que le « mondialisme » menace l’essence même de l’identité française, les Zemmour, Onfray, Camus, De Villiers et autres folliculaires de la droite nationaliste et autoritaire portent évidemment une responsabilité dans les agissements de leurs thuriféraires un peu plus frustes.