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Montjoie Saint-Denis ! - Lettre politique #99
La gifle adressée au président de la République par un adepte des jeux vidéo moyenâgeux va bien plus loin qu’un simple geste de colère manifesté par un « gamer » plus ou moins folklorique. Le slogan qui accompagnait l’agression – « Montjoie Saint-Denis ! », le cri de guerre des rois capétiens –, aussi désuet qu’il puisse paraître, est aussi une prise de position tonitruante, utilisée traditionnellement chez les royalistes de l’Action française.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Hasard ? Certainement pas : les deux auteurs du forfait s’étaient expliqués auparavant dans un entretien réalisé avec un reporter de l’émission Quotidien. Il y était question d’un anti-macronisme viscéral motivé par « le déclin de la France », antienne de la droite nationaliste. On a ensuite appris que les deux énergumènes fréquentaient assidûment les sites de l’ultra-droite.
L’incident, qui en dit long sur l’amère agressivité qui parcourt la France, traduit une réalité de plus en plus angoissante : l’omniprésence des thèmes de l’extrême-droite dans la société, qui dépasse de loin le champ du débat électoral et se diffuse dans toutes sortes de secteurs qu’on pourrait qualifier de « métapolitiques ». Dans les années 1960, Alain de Benoist, théoricien identitaire maintenant blanchi sous le harnois, avait préconisé, face à la domination intellectuelle de la gauche, une entreprise de longue haleine inspirée des thèses de Gramsci sur « l’hégémonie culturelle ». Cette longue action trouve aujourd’hui son aboutissement.
Marine Le Pen en cueille les fruits dans les scrutins récents et sans doute à venir. Elle est désormais entourée, épaulée, précédée, confortée par toutes sortes de penseurs, de publicistes, de groupements, de médias, qui ne la soutiennent pas directement, qui s’en distinguent sur certains points, qui restent autonomes, qui se défendent souvent de toute action partisane, mais qui participent activement à la diffusion d’idées voisines ou identiques : la « décadence » de la société, « l’invasion migratoire », le « retour des frontières », la tentation autoritaire, la rhétorique nationaliste, « l’ensauvagement » de villes, la vitupération du « mondialisme » et de l’Union européenne, la dénonciation violente des « élites », la référence à des puissances de fait plus ou moins secrètes, etc.
On vient de le voir chez certains « gamers » des jeux vidéo. On l’observe tout autant dans les sphères complotistes, dans les sectes « survivalistes », qui en donnent une version à la fois moderne et folklorique, appuyées sur la capillarité des réseaux sociaux. On le voit depuis longtemps dans le monde intellectuel, avec la multiplication des ouvrages d’intellectuels conservateurs, identitaires ou nationalistes. Ceux-ci trouvent un débouché naturel dans la presse de droite, qui abandonne progressivement la référence libérale ou simplement conservatrice pour s’encanailler auprès d’une pensée plus radicale, focalisée sur l’identité, les racines, la primauté des références occidentales et chrétiennes intégristes, la fermeture des frontières, la déploration décadentiste. Le tout abondamment relayé par une partie des chaînes d’information continue, qui appliquent le même état d’esprit à la mise en scène de l’actualité quotidienne. Loin d’être animés par des vieux barbons nostalgiques de la collaboration ou du passé colonial, ces idées, ces attitudes, sont propagées par une escouade de jeunes gens modernes, à l’aise dans les moyens de communication contemporains, au look « casual » et à l’énergie juvénile. Ou encore par des comiques et des comédiens populaires aux penchants complotistes prononcés, par des sectes « antisystème », par des influenceurs forts de leur audience numérique, par des groupes de « gilets jaunes », par des philosophes médiatiques à la posture victimaire ou rebelle, qui jouent de l’anticonformisme, du refus de « la bien-pensance » pour vendre en contrebande leurs options réactionnaires. Contre cette menace grandissante, la mobilisation ne saurait avoir quelque efficacité que si elle s’appuie d'abord sur la conscience lucide et préalable de cette emprise nouvelle...