Pandora et le populisme - Lettre politique #112

Laurent Joffrin | 08 Octobre 2021

On se demande parfois ce qui alimente le populisme, pourquoi les classes populaires entrent en dissidence civique, pourquoi elles se mobilisent soudain dans des révoltes spontanées et amères, à la manière des « gilets jaunes ».

On incrimine une incompréhensible irrationalité, on dénonce des spasmes protestataires fondés sur la recherche de boucs émissaires, qui stigmatisent indistinctement tout ce qui ressemble à une élite de l’argent ou du diplôme. On oublie trop souvent que ce rejet de « ceux d’en haut » repose aussi sur des motivations tangibles.

Le projet « Pandora » mis en œuvre par un collectif de journalistes  internationaux, incarné en France par les enquêtes du Monde ou de Radio-France, en offre la preuve éclatante. Cette investigation menée à l’échelle planétaire sur la base de fuites numériques révélant les pratiques hautement douteuses d’une quinzaine de cabinet de conseils financiers, montre qu’une partie des classes dirigeantes continue imperturbablement à fuir ses responsabilités civiques, à tenir un permanent double langage, à profiter sans vergogne des excessives facilités offertes par la financiarisation de l’économie mondiale.


La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner


Il ressort de ces enquêtes qu’une pléiade d’excellences, des PDG, des responsables politiques, des chefs d’État, des artistes ou des sportifs, à l’aide de sociétés écrans, de transactions instantanées, de havres fiscaux trop accueillants et opaques, soustraient à la collectivité des milliards d’euros qu’ils auraient dû verser à la puissance publique pour lui permettre de financer son action. Certains d’entre eux aggravent même leur cas en prêchant dans le même temps pour la rectitude fiscale, à l’image d’un Tony Blair, auteur de mâles philippiques contre ces manœuvres d’évitement de l’impôt, mais qui y recourt à son tour.

L’évasion fiscale et la fraude, dira-t-on, sont de toutes les époques. Certes. Mais qui ne voit que cette fraction de la classe dirigeante, en usant de ces montages subreptices pour atténuer leur note fiscale, alors qu’elle dispose de revenus lui permettant de s’en acquitter sans grand dommage, ne cesse d’alimenter le ressentiment des plus modestes contre ce système à deux poids, deux mesures ?

Nul réquisitoire global contre les élites dans ce constat : à côté de ces prospères combinards, bien d’autres PDG, actionnaires ou élus paient leur écot sans barguigner, mettant en cohérence leur comportement financier avec leur responsabilité sociale. Aussi bien, les États, aiguillonnés par l’opinion, par les partis progressistes ou par des associations dédiées, s’efforcent de limiter l’iniquité fiscale. Les conventions d’échange d’informations bancaires, la lutte contre les paradis fiscaux, en Europe notamment, le projet d’imposition mondiale minimale des grandes sociétés, font avancer les choses. L’opération « Pandora » ira dans ce sens, de même que les projets de réforme des transactions financières prônés à gauche, pour une meilleure surveillance de l’argent volatil. Mais le chemin est encore long. En attendant, nul ne doit s’étonner de voir s’accroître le courroux du contribuable moyen contre « ceux d’en haut ». Le populisme est un phénomène irrationnel et dangereux. Il a malheureusement des causes objectives et rationnelles.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages