biodiversitéforêtplanèteécologie

Préserver la biodiversité en milieu forestier, un enjeu vital pour la planète

Les Engagé.e.s | 26 Décembre 2021

Parent pauvre de la lutte climatique - axée en priorité sur l’enjeu des émissions des gaz à effet de serre (GES) sur le réchauffement climatique - la lutte pour la préservation de la biodiversité doit nous interpeller tout autant que la lutte contre les émissions de GES.

Alors que la biodiversité constitue le vivant qui nous entoure et les écosystèmes dans lesquels les espèces vivantes - animales et végétales - s’épanouissent, elle s’effondre aujourd’hui à cause d’une surexploitation par les hommes de leur environnement. De tout temps, la biosphère a su répondre aux besoins primaires de l’homme en lui apportant l’oxygène et la nourriture dont il avait besoin. Sans elle, aucune société ne peut être, prospérer, s’épanouir. Avec l’accélération de la perte de la biodiversité, c’est notre existence même qui est en jeu.

Quelques chiffres clés qui donnent le tournis. Entre 1970 et 2016, 68% de la population des vertébrés a disparu avec plus d’un million d’espèces animales et végétales menacés d’extinction ; 75% des environnements terrestres ont été « sévèrement altérés » par les activités humaines ; 50% de l’expansion des terres agricoles s’est faite au détriment de la forêt. Aujourd’hui, les animaux sauvages ne représentent plus que 4% de la biomasse animale (60% pour les animaux d’élevage) ; 43% des cultures ne sont destinées qu’à l’alimentation animale et, en Europe, il n’existe plus que des confettis de forêt primaire. La déforestation permettrait de créer un environnement propice au développement de nouveaux virus, de nouvelles pandémies.

En 2010, les Nations Unis ont pourtant signé les objectifs d’Aichi. Mais le constat d’échec vis-à-vis de ce « plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 » est patent. Sur les quelque 20 objectifs allant de la réduction de la perte d’habitat à la sauvegarde bio-forestière ou à la réduction des pressions directes exercées sur la biodiversité, aucun n’a été atteint. La raison ? Sans doute des objectifs trop vagues, mais aussi l’absence de contraintes légales ou d’agence de contrôle pouvant suivre et mesurer les promesses et, si besoin, contraindre les signataires.

En résumé, que ce soit dans les forêts, en ville, dans la campagne ou dans les océans… tous les milieux écologiques font face à un effondrement massif de leur biodiversité. C’est pourquoi nous devons faire de la préservation de la biodiversité, voire de son expansion, une priorité. C’est une obligation morale vis-à-vis des futures générations et la France peut y jouer un rôle moteur notamment grâce à la richesse de sa biodiversité – présente sur les 5 continents.

 

La forêt, poumon carbone en danger

C’est l’un des enjeux essentiels de la préservation de la biodiversité à l’échelle de la planète. Poumon de carbone, réservoir de biodiversité et moteur économique, le milieu forestier est soumis à l’urgence climatique. Disparition des forêts primaires, déforestation massive, disparition des espèces vivantes animales et végétales, monoculture, étalement urbain, demande en bois : en 2020, la forêt amazonienne est devenue émettrice nette de carbone ne jouant plus son rôle de premier réservoir carbone de la planète. Les plantations de palmiers et d’Hévéa – pour l’huile de palme notamment - en Amérique du Sud et en Asie ne cessent de gagner du terrain au détriment de la forêt primaire, des animaux y vivant.

C’est pourquoi il est urgent d’agir pour préserver et reboiser, pour repenser notre rapport à la forêt en France comme à l’international. Quelles solutions ? A quel niveau d’application et d’impact ? Quels moyens pour quels objectifs. D’une meilleure prise en considération de la protection de la biodiversité dans les accords commerciaux, à une meilleure gestion du massif forestier français, les Engagé.e.s. font de la protection de la biodiversité forestière une priorité face à l’urgence climatique.

 

I. Conditionner la signature des accords commerciaux européens à une protection des massifs forestiers primaires

Plus grande forêt primaire du monde, réservoir de biodiversité, l’Amazonie, ne cesse de reculer au profit d’une agriculture et d’un élevage intensif. L’Europe a la capacité d’agir notamment à travers la ratification des accords commerciaux UE – Mercosur. En ratifiant cet accord, c’est le modèle agricole brésilien que l’Europe légitime. Celui d’immenses exploitations, qui brûle la forêt pour s’étendre. Les quelques avantages économiques de cet accord justifient-ils la destruction continue de la forêt amazonienne ? Non ! 

Proposition 1 :

Ne pas ratifier - en l’état - les accords commerciaux UE – Mercosur. Prendre en compte de façon sérieuse, chiffrée et crédible la déforestation en Amazonie.

*

L’Indonésie et le Vietnam sont en cours de négociation d’accord commerciaux avec l’Europe. L’Indonésie possède le troisième massif forestier tropical primaire au monde. Il est l’un des principaux producteurs d’huile de palme. Ralentir voire stopper la déforestation en Indonésie pour planter des palmiers – en monoculture - doit être un objectif pour les négociateurs européens. L’Indonésie ayant pris récemment à bras le corps le problème, notamment sous la pression de Singapore (bailleur de l’Indonésie, trop fréquemment intoxiqué par les brulis des îles indonésiennes voisines), l’Europe doit accompagner l’Indonésie dans cette transition en soutenant les méthodes agricoles de mélange des essences d’arbres dans les plantations de palmiers. 

Proposition 2 :

Dans les accords commerciaux en cours de négociation par l’UE, et notamment ceux avec l’Indonésie et le Vietnam, inclure la protection des massifs forestiers primaires comme une des conditions de la ratification. Se donner les moyens de mesurer ces pertes (l’Europe possède les satellites pour mesurer la déforestation).

*

L’Europe joue un rôle moteur dans la protection de la biodiversité, notamment de sa biodiversité, y compris celle des Outre-mer. En interdisant certains intrants chimiques dans l’agriculture, en soutenant le passage à une agriculture biologique, en ayant des cahiers des charges très stricts sur l’exploitation de la forêt. Cependant, l’Europe manque de certaine cohérence en autorisant l’importation et la commercialisation sur son territoire de produits agricoles respectant des normes environnementales bien moins stricte que les normes européennes.

Proposition 3 :

Imposer des « clauses miroirs »[1] sur les aspects de la protection de la biodiversité en forêt, dans le milieu agricole et sur les conditions d’élevage lors de la conclusion de futurs accords commerciaux.

*

La Forest Law Enforcement Governance and Trade (FLEGT) est la disposition européenne qui vise à lutter contre la coupe de bois illégale depuis 2003. Bien que ce soit une législation majeure qui a permis de réduire l’importation de bois coupé illégalement, elle n’est pas suffisante car elle ne prend pas en compte la protection de la biodiversité. Pourtant des labels existent. Ces labels, très présents en Europe et globalement correctement appliqués, doivent être rendus obligatoires sur l’ensemble des bois importés en Europe et notamment ceux en provenance de forêts tropicales.

Proposition 4 :

Ne plus importer de bois exotique en France et en Europe en provenance de forêts tropicales n’ayant pas la certification FSC ou PEFC. Renforcer les moyens de contrôle pour la certification des forêts d’importation de bois exotique.

*

La forêt n’est-elle pas un bien commun ? Son rôle de poumon vert, son impact sur l’équilibre climatique ne doit-il pas être pris en considération globalement et non plus nationalement ? Sur le modèle mis en place en Antarctique[2] – neutralité politique (absence d’exercice des prérogatives attachées à la souveraineté), pas d’exploitation économique, recherche scientifique dans un cadre coopératif – l’Europe doit accompagner les pays possédant des massifs forestiers primaires d’importance majeure pour la biodiversité et l’humanité afin de ne pas les exploiter et de fortement y réduire les activités humaines.

Proposition 5 :

Mettre en place en Amazonie, dans le bassin forestier du fleuve Congo, en Indonésie et dans toutes les forêts ayant un rôle clé dans l’action climatique, des zones extraterritoriales où l’exploitation de la forêt serait interdite. Ces zones, soustraites à la souveraineté exclusive des pays possédant ces forêts, doivent devenir bien commun de l’humanité moyennant une juste compensation pour les pays concernés, et être gérées de façon globale. L’UE, la Chine, les USA, l’ONU, les pays ayant une responsabilité climatique lourde devront être en charge du financement de la mise en place de ces zones, ainsi que des alternatives économiques pour ne pas léser les pays dépendant de l’exploitation de ces forêts.

 

II. La biodiversité de la forêt française : un atout à protéger

Le massif forestier français est plutôt en bonne santé. Il est géré par l’Office national des forêts (ONF) depuis plus de 50 ans pour ce qui est des forêts publiques et domaniales et communales (environs 25% de l’ensemble des forêts françaises). L’ONF a une triple approche : économique, sociale et environnementale de la gestion forestière. La forêt française a gagné près de 3 millions d’hectares depuis 1985. Cependant, malgré l’ONF, le massif forestier français voit sa biodiversité s’épuiser, disparaître. L’ONF a mis en place des réserves de forêts biologique qui ont permis à la biodiversité animale et végétale de s’épanouir à nouveau. Les résultats sont tangibles. Mais il faut aller plus loin dans cette démarche.

Proposition 6 :

Multiplier par 3 (de 170 000 hectares à 500 000 hectares) les réserves de forêts biologiques (intégrale comme dirigée qui sont les 2 types de forêts biologiques en France) en France, afin qu’elles représentent une superficie certes égale à moins de 3% du massif forestier français métropolitain total mais à près de 12% des forêts publiques.

*

En 1830, moins de 10 millions d’hectares de forêt existaient en France. Aujourd’hui c’est près de 17 millions d’hectares. Cependant, le développement des massifs forestiers ne s’est pas fait en faveur de la biodiversité, mais principalement en faveur d’une logique économique. La filière bois représentant une industrie de près de 60 milliards d’euros. Nous nous retrouvons aujourd’hui avec des immenses forêts en monoculture (notamment le résineux Douglas, les épicéas) qui – bien que jouant le rôle de puits de carbone – réduisent et fragilisent la biodiversité notamment en acidifiant les sols, en appauvrissant l’humus et en rendant le nichage d’animaux plus compliqué.

Proposition 7 :

Repenser la gestion des forêts en monoculture (notamment le Douglas, Epicéa, pins sylvestres et pins noirs), afin de favoriser une mixité d’essences qui permettrait le développement d’une biodiversité plus importante, de limiter certains risques climatiques, notamment les incendies ou les ravages causés par les insectes. S’appuyer sur les 19 préconisations faites par le CESE dans son rapport de mars 2021[3].

*

Crée en 1966, l’ONF a développé une connaissance de la forêt et des milieux forestiers unique en France. Son savoir, son rôle, son influence, ses moyens lui permettent d’agir de façon cohérente et efficace sur l’ensemble des massifs forestiers et non pas seulement ceux relevant de son autorité directe. Donnons les moyens humains et financiers à l’ONF et aux massifs privés pour appliquer les méthodes de protection de la biodiversité de l’ONF aux massifs forestiers privés.

Proposition 8 :

Concernant la biodiversité en forêt, les actions suivantes peuvent facilement être mises en place dans les forêts privées, ce sont les actions menées par l’ONF dans ses forêts sous gestion :

- Conserver les arbres morts (1/4 de la biodiversité en forêt)

- Interrompre les travaux forestiers lors des périodes de nidifications

- Abandonner l’utilisation de produits phyto-pharmaceutiques

- Préserver les sols forestiers

- Restaurer l’équilibre gibier – forêt

Accompagner les propriétaires de forêts privées dans la mise en place de ces bonnes pratiques forestières.

*

75% des domaines forestiers sont privés en France, soit plus de 12 millions d’hectare. Gérer une forêt, la préserver coûte cher. La protection de la biodiversité n’est pas toujours une priorité pour les gestionnaires privés. Il convient donc d’accompagner les acteurs privés dans la gestion de leur domaine forestier avec comme corollaire une protection de la biodiversité. Il faut pouvoir les accompagner financièrement, leur présenter les techniques de sylviculture les plus à même de protéger la biodiversité. 30 à 40% de la forêt privée française ne serait pas gérés, exploités, mis en valeur.

Proposition 9 :

En s’appuyant sur le rapport de France Nature Environnement concernant la forêt française[4], suivre les recommandations concernant la gestion des massifs forestiers qui proposent des solutions pour l’accompagnement des exploitants, notamment des outils financiers, et des techniques agricoles pour cette transition. L’ONF pourrait jouer un rôle majeur d’accompagnateur de cette politique.

Proposition 10 :

Opposer l’exercice d’un droit de préemption de l’Etat sur les parcelles forestières privées non gérées et de moins de 1 hectare lors des successions ou de cessions. Ce droit de préemption serait exercé par l’ONF, afin de s’assurer de la continuité de son action dans ces nouvelles parcelles (parcelles jouxtant les parcelles de l’ONF).

*

La forêt française en Guyane recouvre une superficie de plus de 8 millions d’hectares (près de 50% des massifs forestiers métropolitains). C’est le seul massif primaire de forêt tropicale d’envergure européenne. C’est un massif très faiblement exploité, et principalement sous sylviculture certifiée. 3,4 millions d’hectares de cette forêt sont protégés. Dans un souci de cohérence, notamment concernant les accords commerciaux, mais aussi afin de ne pas obérer le développement du territoire guyanais, il est essentiel d’inclure le massif guyanais dans le programme visant à protéger la biodiversité locale.

Proposition 11 :

Protéger l’ensemble de la forêt guyanaise, les 8 millions d’hectares qui la composent. Cette protection pourra se faire soit sous régime de réserve naturelle, ou de réserve biologique. Cette mesure permettra de protéger une forêt primaire qui disparaît à l’échelle de la planète, dans des pays n’ayant pas les capacités de protection françaises. Elle permettrait aussi d’envoyer un signal fort aux autres pays, notamment les Etats amazoniens, sur les méthodes permettant de préserver la forêt primaire.

 

III. Autres pistes de réflexion pour la préservation de la biodiversité

Parce que la biodiversité c’est aussi celle que nous fréquentons en ville, à la campagne, dans les champs et dans les océans, voici quelques pistes de réflexion, des propositions pour commencer à préserver la biodiversité qu’il nous reste.

Propositions pour les accords commerciaux :

User de toute l’influence de la France et de ses partenaires pour infléchir le cadre européen afin d’influencer les décisions européennes pour que la préservation de la biodiversité soit une priorité en Europe et chez ses partenaires commerciaux lors de la négociation d’accords commerciaux. S’appuyer, pour cela sur les accords internationaux en faveur de la protection de la biodiversité, à commencer par la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique de 1992.

Dans le cadre des accords commerciaux en cours de négociation : imposer des clauses miroirs dès lors que le sujet touche directement à la biodiversité. Si un insecticide est interdit en Europe, interdire l’importation de produits agricoles utilisant cet insecticide.

Imposer une clause de suspension des accords invitant automatiquement à la renégociation de ces dits accords, si la protection de la biodiversité n’est pas respectée.

Ne pas ratifier l’accord d’investissement UE – Chine.

 

Propositions pour les villes :

Casser le bitume dès que possible (modèle cours d’école en cours d’étude à Lyon et à Paris) afin de favoriser la prise au sol des arbres et des plantes et donc le développement d’une faune locale.

Végétaliser les toits en y installant des plantes, pelouses voir en y développant une petite agriculture urbaine de proximité.

Développer les bacs à composts, la gestion des composts alimentaires au niveau de la ville. En cours d’expérimentation dans 3 arrondissements parisiens.

Planter, planter, planter : des arbres, des pelouses, des parterres de fleurs dès que possible. Favoriser la mixité végétale.

Repenser la gestion de l’eau de pluie. Stocker tout ou partie de cette eau pour ensuite l’utiliser pour arroser les parterres, les plantes.

Former les élus de la ville et ses habitants à la question de la biodiversité (voir proposition du groupe de travail sur le sujet).

Créer un cahier des charges « biodiversité » pour tout nouveaux projet de développement urbain, de nouveaux quartiers, de nouvelle construction. Idéalement au niveau de la ville / intercommunalité.

 

Propositions dans les champs :

Favoriser les auxiliaires de cultures que sont les pollinisateurs et qui sont les ennemis naturels des ravageurs de cultures :

  • Créer ou restaurer des haies, boisements, fossés, mares, bandes enherbées, friches, nichoirs, perchoirs qui favorisent le développement de ces auxiliaires.
  • Favoriser la rotation des cultures qui permet une meilleure préservation des sols.
  • Limiter, réduire, développer le financement des alternatives aux intrants chimiques.
  • Favoriser l’enherbement des sols dans les vergers, dans les vignes.

Etudier et mesurer l’impact du labour sur la biodiversité et la productivité des champs. Le labour permet – à court terme – de limiter les pertes d’azote, mais son impact sur la biodiversité est fort.

Accompagner humainement et financièrement les exploitants agricoles vers une agriculture préservant la biodiversité.

Faire financer par les semenciers, les fabricants de produits phytosanitaire les études d’impact de leurs produits sur la biodiversité.

Permettre la vente de semences paysannes entre agriculteurs, et ne plus limiter la vente de ces semences à des particuliers.

 

Auteur : Cyril Boucher

 

[1]  Clause miroir : Dans le cadre d’un accord commercial, clause qui permet de s’assurer que les produits importés respectent les normes du pays importateur. En Europe, il s’agit de s’assurer, par exemple, que les produits agricoles ne contiennent pas de substance interdite en Europe. Ainsi, l’Europe, en imposant des clauses miroirs, encourage un nivellement par le haut des pratiques agricoles.

[2]

Pages pour les éditeurs déconnectés en savoir plus

Wikisource logo Voir le traité sur Wikisource

[3] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2021/2021_12_syviculture.pdf

[4]https://ged.fne.asso.fr/silverpeas/LinkFile/Key/a509bada-0cfd-4432-b7ce964908598cc1/202.05.25_Rapport_Forets-en-crise-analyse-et-propositions-des-ONG-de-conservation-de-la-nature-min.pdf

Les Engagé.e.s

À propos de

Engageons-nous : les engagé.e.s | Pour la création d’une force alternative à gauche | ➡️ Facebook: https://t.co/3Zgd3d8kjc