- Le mouvement
- Le Lab de la social-démocratie
- Nos publications
- Actualités
- Evénements passés
- Adhérer
Quand la police se discrédite- Lettre politique #33
La vidéo est franchement révoltante. Samedi 21 novembre, si l’on en croit les documents très crédibles diffusés par le site « Loopsider », « Michel », un producteur de musique qui avait eu le tort de rentrer sans masque dans sa maison de production, a été passé à tabac par trois policiers qui l’ont traité à plusieurs reprises, dit-il, de « sale nègre », tout en lui administrant, pendant de longues minutes, des coups de poing, des étranglements et des coups de matraque.
« Michel » a été blessé au crâne, aux membres et au visage et a dû prendre six jours d’arrêt de travail pour incapacité. La scène ne se passe pas en Alabama ou à Minneapolis, où le jeune George Floyd a trouvé la mort, étouffé par un policer américain. Elle a eu lieu dans le tranquille 17e arrondissement de Paris… Mieux : les policiers en question ont affirmé dans leur rapport que « Michel » avait tenté de prendre leurs armes et s’était rendu coupable d’une « rébellion » contre les forces de l’ordre. Ce qui a conduit le parquet, dans un premier temps, à ouvrir une information contre lui en raison de son comportement violent. Selon toutes probabilités, la procédure l’aurait probablement conduit en prison, dans la mesure où il faisait face aux déclarations des trois policiers, contre lesquelles sa simple parole n’aurait pas pesé lourd.
Seulement voilà : les trois policiers, explique Loopsider, ignoraient qu’ils avaient été filmés par une caméra de surveillance placée dans l’entrée de la maison de production dirige par Michel. Les images sont éloquentes. On voit bien les coups violents portés par les trois pandores. Mais nulle trace de la « rébellion » excipée dans le rapport des policiers. Michel tente de se protéger, s’abstient de tout geste brusque ou ambigu, demande de l’aide et crie même, dit-il, cette phrase qui révèle l’amère ironie de la situation : « appelez la police ! »
Au sous-sol du local, quelques jeunes qui répétaient un morceau de musique entendent ces appels au secours. Ils montent, s’interposent et tirent Michel à l’intérieur pour le protéger. Les renforts policiers arrivent et exigent que tout le monde sorte dans la rue. Les jeunes obtempèrent : ils sont aussitôt pris à partie par les policiers présents, reçoivent des coups de matraque et sont emmenés au poste. On les place en garde à vue.
Mais les images filmées par la caméra de surveillance et par des voisins parviennent au poste de police. Le parquet fait alors volte-face et ouvre une information contre les policiers. Plus tard, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, prononce la suspension immédiate des trois policiers et demande à l’IGPN, la « police des polices », d’ouvrir une enquête. Le parquet de Paris s’est saisi de l’affaire sous l’incrimination de violence » et de « faux en écriture publique ».
La scène, attestée par les documents filmés, appelle trois inquiétantes remarques.
- Le terme de « violences policières », contrairement à une argutie cent fois répétée par les pouvoirs publics et les médias de droite, recouvre bien une réalité concrète. Les coups totalement injustifiés portés par les trois policiers qui ont interpelé Michel en font foi, tout comme le comportement de certains membres des forces de l’ordre envers les gilets jaunes ou encore celui des policiers qui ont blessé gravement le jeune Théo dans une affaire plus ancienne actuellement jugée.
- On craint de comprendre que les policiers du 17e arrondissement ont soudain recouru à une violence arbitraire parce qu’ils supposaient qu’un homme noir présent dans ce quartier plutôt bourgeois était ipso facto un délinquant, obéissant à un préjugé de nature évidemment raciste. Et que les jeunes musiciens qui lui sont venus en aide, noirs également, ne méritaient aucun des égards qu’on aurait eus envers des jeunes blancs.
- On voit, aussi bien, que les mêmes policiers, ignorant qu’ils avaient été filmés, n’ont pas hésité à truquer leur rapport en tablant sur le fait que leur parole vaudrait plus que celle des victimes de leur scandaleux comportement.
On en déduit, tout en se gardant de toute généralisation abusive, qu’il y a quelque chose de pourri dans une partie du corps policier. Violence spontanée envers des hommes noirs victimes de leur couleur de peau, mépris total envers la déontologie policière, rapport mensonger destiné à couvrir le forfait, seulement réfuté par des images dont les matraqueurs ignoraient l’existence. Ces images même dont le ministre de l’Intérieur veut restreindre la diffusion par une loi sur la « sécurité globale » qui vient d’être adoptée en première lecture…
Fort heureusement, nous ne sommes pas en dictature. L’état de droit – dont certains élus de droite voudraient s’affranchir – a obligé le ministre à intervenir pour suspendre les prévenus et demander une enquête de l’IGPN.
On ne saurait s’en tenir là. Pour rétablir un minimum de confiance entre les forces de l’ordre et les citoyens, notamment ceux qui font partie, comme Michel, des « minorités visibles », il faut d’urgence se saisir du dossier épineux du racisme dans la police, pour faire le ménage et, plus largement, faire cesser, par des sanctions exemplaires, les débordements violents de certains policiers qui portent atteinte à l’image de leur profession tout entière. Il faut aussi, de manière à garantir l’indépendance des enquêtes, réformer l’IGPN : soit en la détachant du ministère de l’Intérieur et en la plaçant sous la direction d’une instance extérieure – par exemple le ou la Défenseure des droits –, soit en diversifiant les profils des personnes qui y sont en charge des enquêtes et en y introduisant un contrôle citoyen. Faute de quoi, au fil des errements de certains policiers, le fossé ne peut que s’élargir entre les citoyens et leur police.