REINDUSTRIALISATION

Réindustrialisation en France et gouvernance des entreprises multinationales

Adrienne Brotons | 01 Avr. 2021

Notre échange avec l'économiste Vincent Vicard

Ce 4 novembre, nouveau petit déjeuner de notre mouvement pour évoquer la politique industrielle française et le lien entre gouvernance d’entreprise et délocalisations. Un échange nourri entre l’économiste Vincent Vicard et une petite vingtaine de militants, dont beaucoup engagés dans notre groupe de travail dédié au « Pouvoir d’agir économique ».

Économiste au CEPII, organe français de recherche en économie internationale rattaché à France Stratégie, Vincent Vicard s’est spécialisé sur les sujets du commerce international, de la compétitivité française et de la dynamique des entreprises.

 

Les politiques de réindustrialisation répondent à trois grands objectifs, rappelés par Vincent Vicard :

  1. un objectif d’autonomie stratégique, car l’industrie est un outil de souveraineté nationale dans des secteurs-clé tels que la défense ou la santé ;
  2. un objectif de relocalisation d’activités manufacturières, créatrices d’emplois peu qualifiés et génératrices de dépenses R&D qui bénéficient à l’ensemble de l’économie ;
  3. un objectif d’amélioration du compte courant (réduire le déficit commercial).

 

Si la question de la relocalisation industrielle française fait l’objet d’un consensus politique sur le fond, la question du « comment » est quant à elle beaucoup plus débattue. Vincent Vicard souligne un certain « conservatisme » français sur l’analyse de la compétitivité industrielle, qui reste encore principalement appréhendée sous l’angle des coûts : elle a été régulièrement soutenue par des mesures publiques visant la réduction du coût du travail pour les entreprises (politiques massives d’exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, comme avec le CICE) ou l’allègement fiscal, en favorisant par exemple le crédit d’impôt pour les activités de R&D. Le plan de relance à 100 milliards du gouvernement annoncé cet été consacre encore près d’un tiers de son effort à la réduction des impôts de production qui pèsent sur les entreprises.

Mais force est de constater que l’infléchissement de la hausse des coûts du travail moyen français ces dernières années (par rapport à l’Allemagne notamment) ne se traduit pas dans la balance du commerce extérieur : les performances à l’exportation restent globalement mauvaises pour la France, compte tenu du déclin persistant de l’activité de production nationale.

Si les multinationales françaises affichent un fort niveau de performance au niveau mondial (avec 31 entreprises dans le top 500 du classement Fortune, la France occupe même la 1re marche du podium européen), cette bonne compétitivité s’accompagne inlassablement d’une désaffection pour le sol national lorsqu’il s’agit des activités de production, contrairement à notre voisin allemand.

 

Vincent Vicard propose de s’interroger sur des éléments de compétitivité « hors coût », et notamment de comparer la gouvernance des entreprises françaises et allemandes. Il met en avant deux facteurs déterminants :

  1. la représentation des salariés dans les conseils d’administration ;
  2. l’éloignement géographique des sièges décisionnels par rapport à leurs sites de production.

Outre-Rhin, les représentants des salariés constituent 50% des conseils d’administration et de surveillance des entreprises de plus de 2 000 salariés. Le pouvoir accru des salariés dans les décisions des entreprises allemandes renforcerait le dialogue social et pèserait favorablement en faveur d’une activité de production maintenue sur le sol national. Ce modèle de codétermination développerait la responsabilisation et l’autonomisation des salariés, qui ne privilégient pas l’augmentation de la rémunération du travail au détriment de l’investissement et de la profitabilité de l’entreprise.

Un autre facteur susceptible d’influencer la stratégie de l’entreprise est la localisation des sièges sociaux, également. Sur les 31 groupes français qui figurent au classement Fortune, 28 ont leur siège en Ile-de-France, loin de leurs établissements de production. À l’inverse de cette concentration française, ceux des groupes allemands comparables sont presque équitablement répartis dans les différents Länder allemands et proches de leurs unités de production. La proximité du centre de décision de l’entreprise avec ses sites industriels favorise, là encore, la circulation de l’information et des interactions sociales plus fréquentes, et elle développe une meilleure prise en compte des intérêts des employés et de l’impact des décisions prises sur le tissu économique local.

 

Le modèle de gouvernance des entreprises par codétermination est-il exportable en France ? S’il est vrai que notre pays n’a pas la même tradition du dialogue social que nos voisins allemands, Vincent Vicard rappelle que les différences sont notables en la matière entre l’échelon national, avec les grands conflits que nous avons pu connaître, et celui de l’entreprise, où les syndicats signent nombre d’accords.

Le concept de cogouvernance au sein des entreprises françaises est d’ailleurs soutenu par certains syndicats, dont la CFDT, et il a même fait l’objet d’un certain nombre de propositions, comme le rapport Gallois ou encore la Loi PACTE de 2019. Pour qu’elle soit effective, le seuil de représentation des salariés devrait être de l’ordre de 30%.

 

Ces différences structurelles des deux côtés du Rhin ne font pas tout, mais elles expliquent pour une part les divergences de stratégies face au choc de la mondialisation. Elles constituent des leviers réels pour attacher les grandes entreprises à leur territoire d’origine, et elles viennent enrichir un débat où l’analyse de la performance reste souvent centrée sur les questions de coût du travail ou de fiscalité. La réflexion autour des politiques de réindustrialisation nationale gagne beaucoup à les intégrer – non pas sous un angle idéologique, mais bien pour leurs vertus économiques qui sont attestées par de plus en plus d’études.