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Royaume-Uni, royaume désuni
L’extraordinaire ferveur populaire qui a entouré les funérailles d’Elizabeth II est à coup sûr digne de respect ; le retentissement mondial de ces cérémonies imposantes est aussi un phénomène unique qui conforte la monarchie britannique. Mais elle a donné lieu en France à une opération idéologique certes indirecte mais très insistante. Pour les commentateurs conservateurs, elle fut l’occasion de mettre en avant le contraste supposé entre une Grande-Bretagne monarchique unifiée par des traditions immémoriales et une République française qui aurait perdu tout sens du sacré, partagée en factions et en communautés rivales, incapable de se rassembler autour de symboles communs. Or la vérité est tout autre : si l’on examine avec un regard un tant soit peu honnête la situation outre-Manche, on constatera que le Royaume-Uni ne l’est guère qu’en façade, qu’il est tout aussi divisé, sinon plus, que la République française.
Le roi Charles III a tenu, avec un soin méticuleux, à manifester son affection particulière envers deux nations rattachées à la couronne, l’Écosse et l’Irlande du Nord. Et pour cause : elles sont toutes deux dirigées par des majorités politiques indépendantistes qui aspirent ouvertement à rompre avec le royaume. Une volonté que le Brexit a rendue encore plus aiguë. L’Écosse a voté à une forte majorité en faveur du maintien dans l’Union européenne. Quant à l’Irlande du nord, elle regarde avec inquiétude se développer un conflit avec la même Union qui risque de rétablir une frontière physique entre le sud et le nord de l’île, alors que l’appartenance à l’Europe avait contribué à l’effacer, repoussant d’autant le spectre d’un retour de la guerre civile entre unionistes et nationalistes en Ulster. Rien de tel en France, évidemment : la seule région tenue par des indépendantistes est la Corse (340 000 habitants, contre 5 millions pour l’Écosse) mais ceux-ci se contentent de réclamer une plus grande autonomie et non l’indépendance). Les Kanaks de Nouvelle-Calédonie aspirent logiquement à l’indépendance mais le « non » l’a emporté dans trois référendums (avec une forte abstention dans le troisième).
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Les syndicats britanniques ont suspendu leur mouvement de grève pendant les cérémonies royales, mais chacun sait qu’ils sont déterminés à déclencher un mouvement social d’ampleur pour lutter contre les conséquences sociales désastreuses engendrées par une inflation nettement supérieure à celle qui touche le continent. Depuis la sortie de l’Union européenne, l’économie britannique est saisie de langueur et de paralysie bureaucratique aux frontières, aggravant par là-même la situation des classes populaires. Les conservateurs au pouvoir se sont débarrassés de l’encombrant Boris Johnson, dont les écarts et les mensonges finissaient par menacer leur majorité. Sa remplaçante, Liz Truss, n’est guère populaire et le leader travailliste Keir Starmer la devance largement dans les sondages. La nouvelle Première ministre clame son intention de marcher dans les pas de Margaret Thatcher, ce qui augure mal d’un apaisement de la situation sociale ou d’une réduction des inégalités. Aussi bien les disparités entre le nord de l’Angleterre ouvrier et la région de Londres sont toujours aussi marquantes, de même que les inégalités de classe en général quand on sait que beaucoup de Britanniques de milieu populaire, frappés par la baisse du pouvoir d’achat, devront bientôt choisir entre se chauffer et manger normalement. Pour beaucoup d’analystes d’outre-Manche, le faste monarchique dissimule mal le déclin général du pays. Au fond, l’unité de la Grande-Bretagne a pour emblème la famille Windsor. Sa division croissante porte un nom plus trivial : la famille Brexit.
Crédit : 123RF
Et aussi
L’affaire Quatennens n’en finit pas d’embarrasser la France insoumise. Elle met en lumière deux contradictions majeures. La première oppose l’engagement féministe du parti et le comportement réel de ses dirigeants. En rendant hommage au mari gifleur sans un mot pour sa femme giflée, Jean-Luc Mélenchon a manifesté, pour le moins, un manque de sensibilité personnelle à la lutte contre les violences faites aux femmes, provoquant au passage la révolte des féministes de LFI. Tout autant, ce parti, qui prône l’instauration d’une VIème République supposément plus démocratique que l’actuelle, démontre à cette occasion que son fonctionnement intérieur, monarchique, clanique à souhait, fondé sur la protection des proches du leader en dépit de leurs erreurs, se situe aux antipodes de ses valeurs de principe. Peut-être un jour ses alliés de gauche finiront-ils par s’en apercevoir.
La droite mène depuis la rentrée une virulente campagne contre la fermeture de l’usine de Fessenheim, c’est-à-dire une campagne contre la gauche, qui l’a décidée et Emmanuel Macron qui l’a mise en œuvre. On lira avec intérêt un article très précis du Figaro sur la question. Il en ressort que la fermeture de Fessenheim a diminué quelque peu la production d’électricité nucléaire (de 2,8 %) mais que c’est avant tout la découverte d’une corrosion inquiétante dans de nombreuses centrales qui a réduit les capacités du parc nucléaire, tout comme les retards enregistrés dans la construction de l’EPR de Flamanville. Il en ressort tout autant que la lenteur du développement des énergies renouvelables a été bien plus dommageable que la fermeture d’une seule centrale nucléaire sur 56. Autrement dit, la focalisation de la protestation sur la seule usine de Fessenheim porte la marque d’un biais partisan manifeste.