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Sombre victoire
Maigre satisfaction… Ce « front républicain » qu’on disait moribond existe donc : Marine Le Pen l’a rencontré. Le président sortant a remporté 28% des suffrages au premier tour. Le repoussoir Le Pen l’a porté à 58% au second. Trente points de gagnés entre deux tours, près d’un tiers des électeurs, dont la plupart n’aiment pas – parfois détestent – Emmanuel Macron. Pour un front qui n’existait plus, belle performance ! Le tout au service d’un homme qui avait promis qu’on n’en aurait plus besoin, puisqu’il devait réduire l’extrême-droite à la portion congrue…
On a un temps pensé que le fondateur d’En Marche était un technocrate novice sur la scène nationale. Il démontre qu’il est surtout un manœuvrier politique redoutable, qui a su transformer en or électoral le plomb d’un quinquennat chaotique. Il y a du prestidigitateur dans cet homme-là. Inconnu ou presque il y a six ans, il devient le premier président réélu de la Vème République, hors cohabitation, surpassant dans l’histoire du pays des leaders aussi expérimentés que Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande. Pour un peu, on dirait que c’est du Gérard Majax…
Car ce triomphe est aussi un trompe-l’œil. Ce large succès repose sur un étroit soutien. À peine un tiers des électeurs du 24 avril sont des partisans du président. Les autres l’ont élu par défaut, déposant dans l’urne un bulletin qui n’était pas le leur. Le mode de scrutin des législatives lui donnera sans doute une majorité à l’Assemblée. Ce sera une majorité en stuc. Pire : ce vote attrape-tout est essentiellement un vote de classe. Ceux d’en haut ont voté Macron en majorité, ceux d’en bas ont choisi Le Pen. Ceux qui vont bien sont En Marche, ceux qui vont mal piétinent dans une révolte larvée. Même si les analyses de classe doivent être nuancées et croisées avec bien d’autres facteurs, psychologiques, géographiques ou idéologiques, le front républicain est celui des gagnants, le Front national celui des perdants.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Ce qui pose à la gauche une question existentielle : elle est justement, dans l’histoire, chargée de représenter les perdants… qu’elle a perdus en route au profit d’un nationalisme vindicatif. Pour se reconstruire, pour espérer gagner un jour, elle doit retrouver le chemin de la coalition sociologique qui lui avait permis naguère de l’emporter : l’alliance de la majorité des classes populaires et des classes moyennes autour de l’idée de progrès, serait-elle réinventée. Les premières sont chez Le Pen en majorité, les secondes chez Macron. Quant à l’idée de progrès, elle tend à s’effacer.
On ira que « l’Union populaire » de Jean-Luc Mélenchon pourrait fournir une alternative. Les 21% des suffrages qu’il a obtenus au premier tour lui offriraient une base de départ. Il s’en targue pour préconiser une union sous ses fourches caudines. Mais, un peu comme Macron, une bonne partie de ces électeurs n’ont pas voté pour lui, mais contre Marine Le Pen, au nom du « vote utile ». Et surtout, on n’a jamais vu une coalition dominée par la gauche radicale l’emporter en démocratie. Sauf en Grèce avec Alexis Tsipras. Lequel a cessé d’être radical trois jours après son élection, ce qui lui a valu d’être désigné comme traître par les autres gauches radicales d’Europe, Mélenchon en tête. Dans un jeu politique à trois, Macron, Le Pen, Mélenchon, le premier est assuré de l’emporter, ou bien son successeur, puisque le président ne peut pas se représenter une deuxième fois. Pour écarter ce spectre, pour retrouver une gauche qui puisse gouverner, il n’est qu’un seul moyen : rebâtir l’espace politique entre Macron et Mélenchon. Lequel n’existe aujourd’hui qu’à l’état gazeux.
Pour cette gauche-là, l’effacement au sein d’une nébuleuse radicale dirigée par LFI – ce que Mélenchon propose pour les législatives – la mène à l’impasse. Avant de s’unir, il faut exister. Rejoindre LFI avec armes et bagage – un bagage mince – c’est disparaître.
Mais pour exister il faut d’abord répondre à quelques questions dérangeantes : pourquoi les classes populaires sont-elles majoritairement acquises à l’extrême-droite ? En raison de leur situation économique et sociale qui en fait les perdantes de la mondialisation et de l’évolution générale de l’économie capitaliste ? Parce qu’elles éprouvent une inquiétude identitaire et restent attachées à l’idée de nation souveraine ? Parce qu’elles sont hostiles à l’immigration ? Parce qu’elles sont les premières victimes de l’insécurité ? Parce qu’elles sont victimes des inégalités territoriales ? Parce qu’elles estiment que les élites les ont abandonnées et obéissent à des référents culturels qui les heurtent ? Et comment gagner les plus défavorisés à la mutation écologique impérative sans, pour autant, leur dessiner un avenir d’austérité et de stagnation du revenu ? Comment mener de front la restauration des services publics, la redistribution des revenus et l’investissement nécessaire à la transition vers une société plus juste et plus écologique, alors que l’endettement du pays s’est outrageusement gonflé et qu’il faut faire face au retour de la guerre en Europe ? À la lumière de ces interrogations – et bien d’autres –, une longue période de réflexion, de discussions et d’action militante s’ouvre devant les partisans de la réforme et de la justice sociale. Raison de plus pour commencer tout de suite…