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Tapie et la gauche - Lettre politique #111
Quoi qu’on pense du défunt, la mort force le respect. Atteint d’un mal inexorable, Bernard Tapie faisait face avec un courage hors du commun.
Dans le salon surchargé de la rue des Saints-Pères, grand comme un court de tennis, dans cet hôtel particulier qu’une énième acrobatie juridique lui avait permis de conserver malgré ses vicissitudes judiciaires, Tapie continuait de sa voix éraillée à revivre ses combats, ranimer ses souvenirs d’un pittoresque sulfureux, rapide, drôle et chaleureux. En dépit de sa maladie, la séduction canaille qui l’avait porté au pinacle continuait d’opérer.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Pourtant il nous ramène, il faut bien le dire, à des mauvais souvenirs dans l’histoire de la société française, symbole d’un capitalisme corsaire, rôdeur des tribunaux de commerce qui pillait les épaves avec brio, amassant une fortune d’entrepreneur opportuniste, soudain devenu le héraut d’une modernité clinquante et friquée, dans ces années 1980 de la grande conversion libérale. Intelligence redoutable, bagout inépuisable, virtuosité juridique, habitué des faillites douteuses et des rétablissements miraculeux, il était le voyou de charme que l’époque attendait pour jeter sa gourme. Il a construit une sorte de saga de l’énergie et de l’ambition, de la Vie Claire au Tour de France, de Testut à Adidas, de Look à l’OM, de la députation marseillaise au ministère de la Ville.
Le paradoxe a voulu qu’une partie de la gauche, désorientée par la révolution conservatrice lancée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, le propulse sur le devant de la scène politique. Elle voyait en Tapie un supplétif utile qui plaisait au populaire, réhabilitait la réussite, ferraillait avec le Front national, qui pouvait ramener dans une majorité une partie de l’électorat impressionné par cet abattage et ces transgressions, un Berlusconi franchouillard, une sorte de Trump de gauche. Sa seule constance : un combat permanent et énergique contre le Front national.
Tapie ne cessait de mordre la ligne jaune de la légalité, corsaire en affaires, tricheur au football, aventurier en politique. Mais son énergie plaisait en des temps entrepreneuriaux qui avaient jeté par-dessus les moulins les préceptes les plus éprouvés de la morale républicaine. Cette alliance servit surtout à torpiller Rocard, ramené à moins de 15% dans une élection européenne grâce au succès d’une liste Tapie (avec Christiane Taubira en quatrième position). Pour le reste, cette accointance diffusa un parfum affairiste aux marges du second septennat Mitterrand, qui coûta cher aux socialistes. Un certain François Hollande, alors jeune député, tenta d’interpeller sur ce point Pierre Bérégovoy lors de la seconde nomination de Bernard Tapie : « La première fois, c’était une erreur. La deuxième fois, c’est une faute. ». En vain !
C’est un fait - Tapie avait raison sur ce point - que l’establishment se coalisa, au moment de l’affaire Adidas-Crédit Lyonnais, pour le sortir du jeu en le noyant dans une controverse financière interminable, où il n’avait pas tous les torts. L’homme d’affaires réussit à conserver une bonne part de son patrimoine, mais il s’enlisa dans une série de procès qui lui gâchèrent sa fin de vie, sans perdre pour autant sa faconde et son sens de l’éclat médiatique. Affaibli, retiré de la politique, crâne dans l’adversité, englué dans des procédures à rallonge, il finissait par attirer une forme de compassion. Mais c’était une fin de partie. Si l’on se retourne sur les périodes antérieures, à vrai dire, et soyons francs, il eût mieux valu que cette alliance contre nature d’une partie de la gauche avec un cynique de charme au style populiste avant la lettre, n’eût jamais eu lieu.