Le temps des possibles - Lettre politique #51

Laurent Joffrin | 20 Janvier 2021

La gauche réformiste n’a plus d’idées ? Rien n’est plus faux… Nous publions aujourd’hui nos 100 premières propositions de transformation sociale, écologique et républicaine, que nous soumettons au débat public.

 

Marx est de retour dans la gauche française. Mais ce n’est plus Karl, c’est Groucho. Dans « Une Nuit à l’Opéra », le plus baroque des Marx attire dans une cabine de bateau une foule de marins, de passagers, de femmes de chambre ou de mécaniciens, qui s’entassent comme des sardines dans une boîte. De la même manière, dans la cabine de la gauche, s’amoncellent les candidatures les plus bigarrées. Au total, une bonne dizaine de candidats se pressent dans un espace politique qui réunit aujourd’hui moins d’un tiers de l’électorat. Un passeport pour la défaite.

Ce bal des égos est funeste. Avant de connaître celle ou celui qui portera l’étendard de la gauche, il faut savoir ce qui sera écrit dessus. Quelles idées, quel projet, quelle stratégie ? Comme le dit notre ami Jean-Philippe Derosier, avant de savoir « qui », il faut savoir « quoi ». C’est tout le sens de la démarche de notre association « Engageons-nous ».

La gauche réformiste n’a plus d’idées ? Rien n’est plus faux… Nous publions donc aujourd’hui nos 100 premières propositions de transformation sociale, écologique et républicaine, que nous soumettons au débat public.

Ce projet a une seule origine : notre refus de l’injustice. C’est la raison d’être de la gauche. Nous refusons de rester inertes devant les oppressions, les dédains, les renoncements, les égoïsmes de l’ordre établi. Nous refusons de laisser un capitalisme sans frein dégrader la planète et aggraver ainsi la situation des plus pauvres. Celui ou celle qui pense que la gauche a fait son temps, que l’action collective est désuète, que le programme d’une République sociale est épuisé, que l’opposition droite-gauche est dépassée, que l’avenir est fermé, celui-là accepte l’injustice. Il n’est pas des nôtres.

En mai 2022, Emmanuel Macron nous léguera son héritage : une France à reconstruire. Avec son cortège de souffrances, la crise sanitaire et sociale a aggravé dramatiquement le mauvais bilan d’un quinquennat qui a déprimé l’opinion, affaibli la France et déchiré la société. Emmanuel Macron nous avait promis un « nouveau monde ». Il a accentué les maux de l’ancien. Après quatre années d’une gestion en même temps verticale et erratique, les plus nantis se retrouvent confortés et enrichis, les plus faibles appauvris et angoissés.

Autant que cette marche archaïque vers un soi-disant « nouveau monde », nous récusons le projet libéral de la droite, inégalitaire et dur avec les faibles, tout comme le dogme souverainiste et populiste, qui nous ferait régresser vers la prison nationaliste.

Dans le but de préciser convergences et divergences au sein de la gauche, nous ne craignons pas de marquer notre identité politique pour alimenter nos discussions unitaires.

  • Nous sommes déterminés à préserver la planète par une action publique vigoureuse. La transition écologique est pour nous prioritaire. Mais la question sociale reste centrale. Il s’agit de conjuguer les deux objectifs, l’urgence écologique et l’impératif d’émancipation. Nous ne croyons pas à une transition écologique qui programmerait la décroissance de l’économie et condamnerait les classes populaires à un appauvrissement continu.
  • Nous ne croyons pas plus à l’enfermement communautaire, qui abandonnerait les valeurs universelles pour chercher le salut des minorités dans l’affirmation intolérante de leur propre identité, dans un repli revanchard.
  • Nous croyons encore moins à la rhétorique dégagiste et populiste qui opposerait, dans une dichotomie trompeuse, un peuple homogène et des élites corrompues, les apôtres de la radicalité à un « système » voué aux complots maléfiques.

Au contraire, il s’agit pour nous de reconstruire une nation solidaire, qui conjugue la liberté de chacun avec l’égalité pour tous. Pour y parvenir, il faut d’abord lui proposer un projet de société, qui lui donne un but, un idéal commun.

  • Nous voulons une France ouverte sur le monde et l’Europe, qui renoue avec son message universel et retrouve son rôle d’éclaireur pour les nations.
  • Nous voulons une France où le pouvoir n’est plus confisqué par une minorité mais rendu aux citoyennes et aux citoyens.
  • Nous voulons une France qui rompe avec un capitalisme inégalitaire et prédateur pour organiser une juste transition écologique et combattre les discriminations de toutes sortes, dans une économie créative, mise au service du bien commun.
  • Nous voulons une France laïque et républicaine, qui garantisse le respect de chacun dans ses convictions et sa liberté d’expression.
  • Nous voulons une France qui oppose à la compétition de tous contre tous, l’émancipation pour tous.

Seule une gauche de l’action est à même d’accomplir cette mission, loin des incantations et des candidatures de témoignage, en construisant une majorité nouvelle qui mette en œuvre, au gouvernement, les demandes de la société. Il s’agit de réhabiliter la politique, en montrant qu’une action cohérente, rationnelle, qui met les citoyens au cœur de son projet, est à même de changer l’ordre des choses, loin de l’impuissance qu’on impute aux gouvernements démocratiques.

Cette majorité appliquera trois grands projets, dont les décisions principales doivent être votées en début de quinquennat : un plan d’urgence pour rendre le pouvoir aux citoyens et rétablir la confiance, un plan d’urgence pour réussir une transition écologique réaliste et organiser une relance verte, un plan d’urgence pour l’égalité, qui permette à chacun de choisir sa vie.

  • Pour combattre la grave crise de défiance qui mine la vie collective, nous proposons d’ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire de la démocratie française. Macron et ses mandants de la classe privilégiée veulent garder le pouvoir ; nous voulons le rendre aux citoyens.
  • Le dérèglement climatique fait peser une menace mortelle sur l’humanité. La transition écologique doit figurer en tête des priorités pour un gouvernement de gauche, sans pour autant se placer sous le signe d’une « religion de la terre », qui séparerait, dans une nébuleuse dichotomie, « les terrestres et les anti-terrestres ». L’écologie est un humanisme ; elle suppose une politique de progrès pour tous. Elle doit comprendre une politique de l’emploi et une garantie de progression du pouvoir d’achat pour les plus défavorisés.
  • Les valeurs républicaines sont notre référence. Mais elles doivent se traduire dans la réalité de tous les jours. Il s’agit de mettre fin aux privilèges de classe et aux discriminations, en bâtissant une société où chacun, en coopération avec l’autre, disposera d’un « pouvoir d’agir » qui lui permette de faire valoir ses talents et de maîtriser son destin.

Telles sont les grandes lignes du projet des Engagés.

Nous en donnons le détail dans les 100 propositions de notre plateforme « Le temps des possibles », mise en ligne aujourd’hui. C’est une première plateforme, que nous soumettons au débat public et aux discussions qui doivent réunir les différents courants de la gauche pour être discutée, complétée ou amendée. Ces mesures sont à la fois crédibles et audacieuses.

Nous nous rattachons à la gauche réformiste : mais le réformisme n’est pas la pusillanimité. Il offre la seule voie possible pour une rupture avec l’ordre établi et la construction d’une société nouvelle.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages