Trump et Twitter - Lettre politique #50

Laurent Joffrin | 11 Janvier 2021

La suspension du compte Twitter de Donald Trump a quelque chose d’extravagant. Elle n’est pas seulement le énième rebondissement baroque d’un mandat présidentiel surréaliste. Elle illustre l’incapacité des grandes démocraties à maîtriser, intellectuellement et pratiquement, la surpuissance de ces nouveaux condottieres qu’on appelle les GAFAM.

Quoiqu’on pense de Trump (on aura compris que l’auteur de cette lettre en pense surtout du mal), il faut bien reconnaître que ce président est victime, en l’espèce, d’un acte arbitraire. Twitter est un réseau de communication mondial qui revendique sa neutralité politique. Or il se permet, sans aucune explication sérieuse ni procédure légale, de réduire au silence le président de la plus grande démocratie au monde. Quel précédent !

On eût compris, à la rigueur, que les responsables de Twitter effacent de la toile les messages illégaux, ou particulièrement outrageants, du sinistre guignol de la Maison-Blanche, notamment ceux qui incitaient ses partisans à faire pression sur le Congrès par l’usage de la force. Au lieu de cela, on lui coupe le sifflet, sans phrases ni rémission. En tant qu’opposant à Trump, on peut s’en réjouir. En tant que citoyen attaché à la liberté d’expression, on doit s’en inquiéter.

Il se trouve, en effet, que ce guignol a été élu régulièrement et qu’il occupe – fort mal – une fonction démocratique essentielle. On ne pouvait s’en débarrasser que par une autre élection – ce qu’on vient de faire – et non par des actes qui contredisent les principes mêmes de ses opposants. En décidant souverainement de censurer le président des États-Unis, Twitter outrepasse le rôle qu’il prétend jouer dans la libre circulation de l’information. 

Ce pas de clerc traduit une dérive qui affecte depuis de longues années les grandes démocraties : la privatisation de la censure. Shootées à l’ultralibéralisme californien, les grandes sociétés de l’Internet ont imposé dès l’origine l’idée que les réseaux numériques devaient échapper à toute régulation démocratique. Une coalition d’idiots utiles – les thuriféraires de la « culture internet », les militants libertaires du type « pirates de la toile » – les a confortés dans cette volonté d’échapper à la loi commune. Ainsi les GAFAM, dotés d’une puissance planétaire, se dispensent de payer l’impôt, édictent leurs propres règles et négocient de puissance à puissance avec les États, tel le duc de Bourgogne avec le roi de France. C’est ainsi qu’elles se permettent de réguler elles-mêmes la liberté d’expression, hors des lois, au gré de leurs préjugés et, surtout, de leurs intérêts.

La régulation démocratique est donc urgente. Elle est aujourd’hui embryonnaire, c’est-à-dire gravement insuffisante. Il faut clarifier le statut des GAFAM, qui jouent sans cesse sur l’ambiguïté. Sont-ils des simples fournisseurs d’accès, comme la Poste, qui ne contrôle pas le contenu des lettres qu’elle achemine ? Ou bien sont-ils des médias, comme le dit l’opinion courante, qui parle des « nouveaux médias » comme d’un phénomène neuf et bienfaisant. Auquel cas, les lois qui régissent les autres médias doivent leur être appliquées. On en connaît le principe, reconnu par tous : l’expression est libre, sauf à répondre de ses excès, définis par les lois (diffamation, racisme, appels au meurtre, etc.).

Faute de cette vigilance démocratique, l’absence de régulation a fait de ces canaux d’information, si fascinants pour leur capacité à diffuser savoir et culture, l’égout planétaire de la sous-culture de la haine, de l’obscurantisme et de l’intolérance. Et les censeurs arbitraires de notre liberté.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages