Un martyr nommé Sarkozy - Lettre politique #67

Laurent Joffrin | 03 Mars 2021

Curieuse manie de la droite française : elle se plaint en permanence du « laxisme » de la justice envers les délinquants, exige des jugements plus sévères, des peines plus dissuasives, des lois plus répressives ; mais dès que le prévenu est l’un des siens, elle crie à « l’acharnement » judiciaire, dénonce la vindicte des juges, exige un plus grand respect des droits de la défense.

C’est le réflexe de Nicolas Sarkozy, qui a fait si souvent campagne sur le thème de l’insécurité et des sanctions nécessaires contre la délinquance, mais qui, dans les affaires qui le concernent, hurle au viol de l’état de droit, au piétinement des droits la défense et stigmatise des magistrats pour la seule raison qu’ils ont le front de s’attaquer à lui. Il n’est pas le seul dans ce cas : mis en cause, Jean-Luc Mélenchon a lui aussi déroulé la fable du complot judiciaire, tout comme Marine Le Pen, qui a bruyamment soutenu Sarkozy dans ses philippiques anti-juges.

En fait, c’est toujours la même chanson : quand une excellence est en butte aux magistrats, on fait sonner les grandes orgues de l’innocence bafouée et de la justice implacable ; quand il s’agit du vulgum pecus, on exige une répression accrue. Si vous êtes puissant, les juges vont toujours trop loin, si vous êtes misérable, jamais assez…


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En fait, si l’on se plonge dans le dossier avec un minimum de bonne foi, la décision de la cour qui a condamné Nicolas Sarkozy se comprend fort bien. Peut-être sera-t-elle contredite en appel, dans la mesure où elle repose essentiellement sur des écoutes téléphoniques, dont certains estiment qu’elles sont interprétées. Mais les extraits desdites écoutes sont tout de même éloquents. Dans une conversation, Sarkozy et son avocat comptent sur un magistrat de la Cour de Cassation, Gilbert Azibert, pour obtenir des informations utiles à leur cause. Dans une autre, l’ancien président annonce, à mots à peine couverts, qu’il interviendra auprès des autorités de Monaco pour faciliter l’obtention par le même Azibert d’un poste qu’il convoite. Les juges de la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris en ont déduit qu’il y avait bien volonté d’échanger des services de manière illégale, grâce à la conclusion d’un « pacte de corruption » au profit des prévenus. D’où la condamnation – sévère – dont les trois protagonistes ont écopé.

On peut contester la sanction et la cour d’appel devra se prononcer sur ce point. Mais, contrairement à ce que répètent partout les partisans de Nicolas Sarkozy, il est impossible d’affirmer que le dossier est « vide ». Rappelons que la mise sur écoutes de l’ancien président – sur des téléphones secrets achetés par les prévenus sous un faux nom (Paul Bismuth) – a été validée par des juridictions différentes, dont la Cour de justice européenne des droits de l’Homme.

De la part d’un ancien président, ce système de défense qui consiste à discréditer la justice aux yeux des justiciables, est gravement irresponsable. Faut-il le rappeler ? Le président de la République est garant de l’indépendance de la justice et de son bon fonctionnement. Que dit-il dans cette affaire ? Que des juges « politisés » l’ont condamné sans preuves. Alors que la procédure est allée du Parquet national financier à deux juges d’instruction, pour aboutir devant des magistrats du siège dont rien ne permet de dire qu’ils sont animés par une volonté partisane. Trois instances distinctes, donc, que l’ancien président accuse d’avoir été de mèche pour le condamner. Pure théorie du complot, fondée sur rien, sinon des raisonnements gratuits et biaisés, convoqués uniquement pour les besoins d’une cause particulière.

Si l’opinion croit Sarkozy, elle en tire l’idée que la justice est globalement injuste et partisane ; si elle ne le croit pas, elle en conclut que les hommes politiques refusent de se considérer comme des justiciables ordinaires et qu’ils recourent, quand ils sont en difficulté, à des arguments d’une parfaite mauvaise foi. Dans les deux cas, on alimente la vindicte anti-élites qui sert de doctrine aux extrêmes.

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages