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Vive la Commune ! - Lettre politique #73
Encore une fois, s’il en était besoin, l’antagonisme droite-gauche fait la preuve de sa persistance, quoi qu’en disent macronistes ou souverainistes qui voudraient s’en débarrasser comme d’une guenille. C’est la droite parisienne, cette fois, qui nous ramène aux principes élémentaires de la vie politique française. En ce 18 mars 2021, jour anniversaire du début de la Commune de Paris en 1871, elle s’insurge – pacifiquement – contre la célébration de l’événement par la Mairie de Paris dirigée par la gauche.
Elle qui fustige à qui mieux-mieux la « repentance » à l’égard de crimes comme l’esclavage, la colonisation ou d’autres forfaits passés, elle qui se gendarme contre « la réécriture de l’Histoire », la « bien-pensance » anachronique qui juge les faits d’hier avec les lunettes d’aujourd’hui, trouve insupportable qu’on célèbre un événement marqué, dit-elle, par la violence révolutionnaire, l’assassinat de plusieurs ecclésiastiques (dont Monseigneur Darbois, fusillé comme otage), la destruction de plusieurs bâtiments publics (le Palais des Tuileries, l’Hôtel de Ville, et quelques autres).
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
L’ennui, comme souvent en ces matières, c’est que la Commune – à la différence de l’esclavage – ne saurait être ramenée à une somme de crimes. Le 18 mars 1871, les ouvriers, les militants, les républicains parisiens, se révoltent contre le gouvernement de Thiers qui veut reprendre à la ville les canons entreposés à Montmartre et qui avaient servi à lutter contre les Prussiens assiégeant la capitale. Il s’ensuit une insurrection patriotique et prolétarienne contre l’assemblée de Versailles à majorité monarchiste qui débouche sur la constitution d’une « Commune » révolutionnaire à Paris.
Ceux qu’on appellera ensuite les « Communards », mot péjoratif qu’ils retourneront à leur avantage, veulent poursuivre la lutte contre l’envahisseur, et mettre en œuvre des réformes progressistes. Dangereux utopistes ? Rêveurs armés et fanatiques ? Pas tout à fait : la Commune instaure la séparation de l’Église et de l’État, la limitation de la journée de travail, le secours public aux miséreux, ou bien expérimente certaines formes de démocratie directe. Toutes mesures qui sont désormais des piliers de notre République, y compris aux yeux de la droite contemporaine.
Quant aux violences, elles sont, d’abord et avant tout, le fait des « Versaillais » (l’armée régulière placée sous les ordres de l’assemblée de Versailles), qui reconquièrent Paris d’ouest en est, au prix d’une répression féroce qui causera la mort de quelque 20 000 insurgés, souvent exécutés sommairement. Le meurtre des otages (quelques dizaines) et les incendies de monuments, perpétrés par des Communards, ont lieu pendant la « semaine sanglante », en réponse à la violence militaire. Excès certes condamnables, mais d’une intensité très inférieure à la répression versaillaise.
Autrement dit, on ne voit pas très bien pourquoi la République de 2021 devrait s’abstenir de célébrer un événement certes violent, mais qui est aussi une borne dans la longue marche vers le progrès social et la liberté républicaine. La droite municipale, néanmoins, s’y oppose. Ce en quoi elle prolonge une longue tradition. Sans le savoir, beaucoup de Parisiens vivent en contrebas d’un monument de cette « repentance » que les conservateurs ne cessent de critiquer : le Sacré-Cœur, basilique construite à l’emplacement où commença l’insurrection parisienne, pour expier à la fois les injures faites à l’Église depuis 1789 et les crimes commis par les Communards. On se moque de la gauche « repentante », mais on oublie que la droite pratique depuis longtemps la même flagellation rétrospective…
Ainsi se dessine le rapport sain que nous devons entretenir avec notre histoire, et donc avec notre identité. Loin de la nier ou de la réécrire, il faut en dégager le sens, pratiquer un droit d’inventaire, célébrer ce qui mérite de l’être, sans dissimuler ce qui heurte la conscience humaine. Et non se voiler la face en effaçant, comme dans les régimes totalitaires, tout ce qui peut contredire la doxa contemporaine, de droite comme de gauche.