Vive les rats ? - Lettre politique #81

Laurent Joffrin | 14 Avr. 2021

Faut-il être « bienveillant » à l’égard des rats et des punaises de lit ? L’élue Modem de Strasbourg Rebecca Breitman faisait « le buzz » sur ce grave sujet il y a quelques semaines en mettant en ligne une délibération de la municipalité portant sur deux plaies qui frappent la ville : l’omniprésence des rats dans certains quartiers et la prolifération des « punaises de lit » dans nombre de logements, ces insectes qui viennent piquer les dormeurs la nuit pour se dissimuler le jour dans les recoins les plus inaccessibles. Deux adjointes écologistes s'étaient alors distinguées en répliquant qu’il fallait « changer le regard » sur ces animaux – fort estimables au demeurant – et adopter désormais une approche « bienveillante » envers ceux qu’on ne doit plus appeler des « nuisibles » mais des « liminaires » (c’est-à-dire qui vivent à la frontière entre le monde humain et la faune sauvage). C’est un fait que « liminaire » est plus bienveillant que « nuisible ».


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Peu sensibles à cette novation sémantique, beaucoup d’habitants de Strasbourg, sans doute enfermés dans des catégories mentales d’un autre âge, continuent de protester contre cette double prolifération en arguant naïvement que les rats sont souvent porteurs de maladies et que la présence de punaises de lit (fléau qu’on retrouve dans nombre de grandes villes à travers les monde) oblige les occupants des appartements envahis à des mesures d’assainissement laborieuses et coûteuses, souvent hors de portée des ménages les plus modestes. La municipalité a nommé une commission pour étudier la question. En attendant, les protestataires contemplent – avec « bienveillance », on le suppose – les rongeurs se promener dans leurs immeubles et comptent chaque matin les piqûres « liminaires » qui apparaissent sur leur peau.

La maire écologiste de Poitiers a elle aussi marqué les esprits récemment en souhaitant que l’aviation ne fasse plus partie des « rêves des enfants », justifiant ainsi la suppression d’une modeste subvention jusque-là attribuée à un aéroclub de la ville. Tout comme le maire écologiste de Bordeaux avait refusé de placer un « arbre mort » sur une place de la ville où l’on érigeait traditionnellement un sapin de Noël. Sans qu’on sache si dans son bureau se trouvaient ou non certains de ces meubles antédiluviens – une table, une chaise, un bureau – fabriqués à l’aide de morceaux de bois cruellement découpés dans des « arbres morts ». 

Ces sorties, qui suscitent l’hilarité des opposants locaux, recouvrent bien sûr de vraies questions – la cause animale, les déforestations, la pollution engendrée par le transport aérien. Les écologistes – faut-il le rappeler ? – ont eu l’immense mérite de susciter une prise de conscience mondiale à l’égard des menaces que les sociétés industrielles font peser sur la seule planète dont nous disposons à ce jour. Mais c’est aussi affaire de communication. On doute que les trois exemples que nous venons de citer – ce ne sont pas les seuls dans ce registre politico-comique– ne servent guère cette juste cause. Certes le ridicule ne tue pas, ni dans la vie courante ni en politique. Mais en fournissant aux conservateurs des sketches faciles, il peut faire perdre beaucoup de temps.

 

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages