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Zemmour, candidat de la guerre civile - Lettre politique #109
Duel faussement acerbe sur BFM entre deux bretteurs de la radicalité, Zemmour et Mélenchon. Les deux tiers des Français estiment que ni l’un ni l’autre n’est capable de gouverner, mais ils font le spectacle.
Le premier voulait prendre place dans la course présidentielle, le deuxième avait besoin de relancer une campagne qui lambine. Ils étaient donc en plein accord pour étaler leurs désaccords. Chacun est resté dans son couloir, sans qu’on apprenne grand-chose de neuf sur leurs positions. Mélenchon a seulement adoubé son adversaire qui peut se targuer de n’avoir pas mordu la poussière face à un tribun reconnu. Tout bénef…
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Impétrant encore virtuel, Éric Zemmour se retrouve à 10% dans plusieurs sondages. Les partis de l’arc républicain pourraient s’en satisfaire, puisque le trublion de la droite extrême prend ces suffrages annoncés à Marine Le Pen et à Nicolas Dupont-Aignan pour l’essentiel, sans affecter le score des autres formations. S’il confirme sa percée, il peut empêcher la candidate RN d’accéder au second tour, ce qui la renverrait au bas de la pente qu’elle s’échine à gravir depuis des lustres.
On aurait néanmoins tort : le passage de l’électorat de Le Pen à Zemmour traduit surtout une angoissante radicalisation de l’électorat conservateur, déjà passablement extrémisé. Zemmour n’est pas seulement l’icône télévisuelle de la réaction. Comme Trump l’a été au dernier jour de son mandat, lançant ses troupes sur le Capitole, Zemmour est un candidat de guerre civile.
Ceux qui en doutent liront le livre qu’il publie ces jours-ci – mais la chose se dessinait dans les ouvrages précédents. Inutile d’aller très loin dans la lecture, la thèse de Zemmour est résumée dans l’introduction (page 12). Citons le raisonnement in extenso, pour ne pas être accusé de manipulation de texte : « L’individualisme, né il y a quatre siècles aux confins de la Renaissance et du protestantisme germanique, arrive au bout de sa course échevelée : il a transformé nos vieilles nations en sociétés d’individus craintifs et capricieux, qui exigent de l’État la reconnaissance de leur sensibilité et de leurs ressentis fragiles. De l’autre côté, la civilisation islamique a pris pied sur le sol européen, avec ses diasporas de plus en plus fournies, qui imposent leurs mœurs, leurs lois, leurs imaginaires, leurs patronymes, dans une logique colonisatrice. Ces deux mouvements historiques incarnent deux visions du monde aux antipodes, l’émancipation de toutes les règles pour les uns, la soumission à un dieu vengeur pour les autres. Un jour prochain, ils s’entrechoqueront violemment, et on peut supposer que le règne de la Soumission écrasera brutalement celui de la Libération. En attendant, ils sont alliés contre le même ennemi : le peuple français, ses mœurs, son histoire, son État, sa civilité, sa civilisation. C’est le pacte germano-soviétique. » Voilà donc un échantillon de la prose paranoïaque de Zemmour : l’Occident est entré en décadence à la Renaissance ; l’islam conquérant, dans un spasme de violence, « l’écrasera » sous peu.
On peut y voir un festival d’outrances proférées à dessein par souci de provocation. Mais l’essentiel n’est pas là. Le point principal, c’est l’annonce d’un conflit intérieur violent qui opposera, dixit Zemmour, « le peuple français » et l’ensemble des musulmans présents en France. Avec, pour enjeu, l’existence même de la nation. Sur ces prémisses absurdes, Zemmour bâtit une conclusion qu’il ne formule pas en public mais qui en découle inexorablement : si l’anéantissement de la nation pointe à l’horizon, il faut se préparer au plus vite. C’est-à-dire s’armer en vue de la guerre civile qui se déclenchera immanquablement « un jour prochain ». À moins que Zemmour n’arrive pour la prévenir, c’est-à-dire en organisant l’expulsion massive des « colonisateurs », à savoir les musulmans présents en France, quel que soit leur statut, puisqu’ils appartiennent tous, par nature, à une civilisation ennemie et conquérante.
Exagération polémique, extrapolation hasardeuse ? Ceux qui connaissent Zemmour savent bien qu’il n’en est rien. En privé, le chroniqueur du Figaro agite volontiers ces perspectives apocalyptiques, rappelant, par exemple, que le transfert massif de population s’est déjà produit dans l’histoire, par exemple après la Deuxième Guerre, aux confins de l’Allemagne et de la Pologne. Pourquoi pas en France ?
Voilà donc le prophète télévisuel lugubre, paniquard et agressif auquel 10% des sondés déclarent accorder leur soutien, une sorte de Trump maigre shooté à la lecture de Maurras et de Bainville. Avec cette guerre de civilisations, on régresse…