Il faut écouter attentivement Éric Zemmour, notamment quand il s’exprime devant les policiers du syndicat Alliance sur le rôle qu’il leur attribuerait si, par malheur et par extraordinaire, il était élu. On y trouve la vérité du personnage, matamore lugubre d’un avenir de discorde. « Vous êtes aux premières loges d’un combat de civilisation, c’est-à-dire que vous ne faites pas seulement face à des délinquants », a-t-il dit. Pour lui, il s’agit d’une guerre entre « deux civilisations sur notre sol » qui « ne peuvent coexister pacifiquement ». On ne saurait être plus clair : les policiers ne sont plus là pour faire respecter les lois et défendre l’ordre républicain, mais pour être les soldats d’une « guerre de civilisation ». 

Les deux civilisations dont parle le héraut de l’extrême-droite sont clairement désignées dans ses discours répétitifs : la « civilisation musulmane » d’un côté et, de l’autre, on le suppose facilement, la civilisation occidentale, chrétienne, ou française, confondues en un ensemble indistinct, fragile et décadent.

Conséquence : il désigne l’ensemble des musulmans, en tout cas ceux qui n’abjurent pas de toute identité particulière, par exemple en portant un prénom qui ne soit pas musulman, comme des ennemis de l’intérieur, réels ou potentiels. La conclusion est implacable : voilà des millions de Français dénoncés comme les membres d’une fantasmagorique « cinquième colonne », pour la simple raison qu’ils sont issus de l’immigration. Islamistes et musulmans sont grossièrement jetés dans le même sac, ce qui correspond exactement, soit dit en passant, aux thèses des djihadistes.

La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner

Et comme ces deux « civilisations », dixit Zemmour, ne peuvent vivre pacifiquement ensemble, la guerre civile a commencé. D’où les extravagantes règles d’intervention qu’il veut conférer à la police, encouragée à user de la violence en bénéficiant d’une « défense excusable » (ce sont ses termes) qui pourra couvrir leurs fautes éventuelles. Même chose pour les commerçants victimes de cambriolage, incités de toute évidence à se doter d’armes et à en faire usage. On déplore la « guerre civile », mais on l’encourage.

Ce discours est inédit depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, ou, à tout le moins, depuis la guerre d’Algérie. Telle est la France selon Zemmour, une nation tournée vers le passé, qui crée une catégorie de boucs émissaires proclamés, qui remplace le progrès par la haine et l’espoir par la violence.