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Zemmour : vive les chauffards ! - Lettre politique #115
Éric Zemmour veut supprimer le permis à points et, au passage, annuler l’abaissement à 80km/h sur les routes secondaires et interdire aux maires de limiter à 30km/h la vitesse en agglomération. Démagogie à grande vitesse et « vérité alternative » : Zemmour conteste que le ralentissement général des véhicules ait eu un effet positif sur la sécurité routière. Autant contester la rotondité de la terre.
Chacun peut se reporter aux chiffres de mortalité sur la route. Depuis 1972, l’année la plus meurtrière depuis la guerre, la France est passée de plus de 16 000 morts sur les routes à 3244 en 2019. Pourquoi ? Parce que les routes et les véhicules sont plus sûrs, certes. Mais aussi parce que les pouvoirs publics ont mené une politique active de sécurité routière, qui a consisté, pour une bonne part, à limiter la vitesse des véhicules et dont le permis à points est un instrument essentiel (utilisé par la majorité des pays européens). Ce dispositif progressif – et donc pédagogique – vise, entre autres, à écarter de la circulation les conducteurs au comportement dangereux. Sa suppression permettrait à un automobiliste arrêté plusieurs fois pour conduite en état d’ivresse de continuer à conduire ; même chose pour ceux qui se rendent plusieurs fois coupables d’excès de vitesse manifeste, supérieur à 50 km/h. C’est cette politique que Zemmour remet désormais en question, quitte à accepter une remontée du nombre de victimes.
La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner
Le futur candidat de l’ultra-droite s’aligne en fait sur les positions du « lobby bagnole » (l’Automobile-Club, l’association « 40 millions d’automobilistes », la Ligue de défense des conducteurs…) qui a systématiquement contesté les mesures prises depuis les années 1970, au mépris de l’évidence statistique. Il va même plus loin : en fait, l’association « 40 millions d’automobilistes » accepte le principe du permis à points, dont elle reconnaît l’efficacité (elle demande seulement son assouplissement).
Ce qui donne une clé du phénomène qui entoure le polémiste. La contestation des mesures de sécurité routière est souvent le fait d’hommes plutôt jeunes, adeptes d’une conduite rapide et « virile ». C’est à ces hommes attachés aux « valeurs masculines » que s’adresse Zemmour, comme l’avait fait Trump lors de sa campagne victorieuse. En cela, il est cohérent dans ses cibles politiques. On le voyait déjà dans son antiféminisme, sa réprobation du mariage pour tous, sa critique de la parité femmes-hommes, son apologie des mesures de justice répressives (sauf en matière routière). La tactique s’applique désormais au permis à points…
Zemmour n’est pas seulement passéiste (c’était mieux avant…) ; il cultive la nostalgie plus ou moins mythique d’une France dominée par les hiérarchies traditionnelles, hommes contre femmes, hétérosexuels contre homosexuels, autochtones contre étrangers, chauffards contre victimes de la route, etc. Dernier exemple : rompu aux joutes télévisées par vingt ans d’entraînement quotidien, il humilie sous l’œil des caméras une jeune femme portant le voile, alors même que la loi ne proscrit en aucune manière le port du foulard. Humiliation des femmes, humiliation des musulmans, humiliation des plus faibles…
Son différend avec Marine Le Pen participe du même raisonnement. Le RN est un parti principalement populaire qui a adjoint une politique sociale anti-libérale à son hostilité envers les étrangers. Zemmour le lui reproche. Pour lui, l’extrême-droite doit passer alliance avec la bourgeoisie, la classe qui domine traditionnellement la société. Ainsi les anciennes hiérarchies seront préservées. D’où son programme libéral de recul de l’État et de remise en cause des acquis sociaux. À la classe dominante, Zemmour promet une défense de ses intérêts contre les classes dominées, comme il promet aux classes populaires une défense contre les étrangers. Au fond, il applique à la lettre l’aphorisme de Nietzsche : « il faut protéger les forts contre les faibles ». Certes, il se distingue encore des fascistes des années trente en n’employant pas directement la violence physique. Mais son apologie permanente de la force l’en rapproche de plus en plus.