« L’homme malade de l’Europe »

Laurent Joffrin | 06 Septembre 2022

Après le Brexit, le Boris-exit… Discrédité pour cause de mensonges répétés, qui sont chez lui une seconde nature - mais aussi à cause de l’état exécrable du pays qui menace la majorité conservatrice - l’excentrique Boris Johnson a été congédié par son propre parti. Il est remplacé par une femme jusque-là peu connue, Liz Truss, qui a pour principal viatique de tenir un discours comparable à celui de feue Margaret Thatcher, après avoir commencé sa carrière au centre droit et qualifié le Brexit de « tragédie ». En se convertissant aux idées les plus droitières de l’arc politique britannique, cette « dame de fer » en stuc a séduit les adhérents du Parti conservateur dont la moyenne d’âge est de 70 ans et qui ne sont pas loin de tenir l’Union européenne pour une réincarnation de l’Union soviétique. Pour complaire à cet aréopage de burgraves, elle a été jusqu’à se demander si la France, alliée historique de la Grande-Bretagne depuis plus d’un siècle, mais dirigée par un pro-européen, faisait partie des amis ou des ennemis de son pays ! La Grande-Bretagne passe de Johnson à Truss comme Ulysse de Charybde en Scylla. 

Le bilan des conservateurs au pouvoir, c’est celui du Brexit. À l’examiner, on comprend pourquoi aucun autre pays européen ne s’est risqué sur cette voie. Le pays traverse une crise inédite sur tous les fronts. Nées d’une inflation double de celle de l’Union, les grèves se multiplient ; le gouvernement écossais ne songe qu’à obtenir son indépendance pour rejoindre l’Union européenne ; la situation en Irlande du Nord est toujours aussi tendue. Pour Denis McShane, ancien ministre britannique des affaires européennes, commentateur acide de la vie politique britannique, le Royaume-Uni est désormais « l’homme malade de l’Europe ».  

Certes, à l’inverse de ce que certains partisans du « Remain » prédisaient, le pays ne s’est pas effondré : on connaît la résilience qui caractérise le peuple britannique. Le Royaume-Uni garde un taux de chômage très bas et la City conserve sa place de première place financière d’Europe. Mais pour le reste, aucune des mirifiques promesses brandies par les brexiters n’a été tenue. L’économie a cru moins vite, les échanges extérieurs ont été ralentis, la vie politique a été paralysée pour de longues années, les grandioses accords commerciaux prévus dans le projet « Global Britain » se sont limités à deux ou trois traités minimes, la classe ouvrière britannique, qui a voté majoritairement pour le « Leave », n’est pas mieux protégée qu’auparavant, plutôt moins. Au pire, le Brexit enclenche le déclin britannique, au mieux, il n’a été d’aucune utilité au peuple britannique. On songe aux comédies de Shakespeare : on voulait jouer « Comme il vous plaira », on se rabat sur « Beaucoup de bruit pour rien » ou sur « La Comédie des Erreurs ».

On dira que les électeurs anti-européens ont obtenu ce qui était sans doute le véritable objectif du Brexit : un meilleur contrôle de leur immigration. Mais c’est en malmenant les conventions internationales – on prévoit d’expédier les demandeurs d’asile au Rwanda… - et en acceptant d’avance une pénurie de main d’œuvre qui causera maintes difficultés. Peu importe aux yeux des électeurs brexiters : ils calment leur inquiétude identitaire par la fermeture à l’immigration. Au fond, on peut en déduire la vraie maxime des nationalistes, aussi absurde qu’efficace : il vaut mieux mener seul une mauvaise politique, qu’une bonne à plusieurs.

Un phénomène que les progressistes Européens feraient bien de méditer, au moment où, dans plusieurs pays de l’Union - en Italie, en Suède et en France – la droite dure marque sans cesse des points. C’est la leçon de cette triste histoire : sans une politique d’immigration crédible et équilibrée, on ouvre un boulevard aux nationalistes.


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Et aussi

 

Le chancelier social-démocrate allemand Olaf Scholz, qu’on disait affaibli et contesté, vient de conclure avec ses partenaires de la coalition au pouvoir un plan de soutien de 64 milliards destiné à pallier les effets de la hausse des prix de l’énergie, notamment pour les catégories les plus défavorisées. Pour financer cet effort considérable, il n’a pas hésité à annoncer la taxation des « bénéfices aléatoires » (en France, on dit « les superprofits ») des sociétés ayant tiré parti de la crise énergétique. En France, le gouvernement Macron a consacré 24 milliards aux divers « boucliers tarifaires » et refusé toute taxation supplémentaire des grands groupes. Comme le dit Olivier Dussopt, ministre macronien : « il faut tourner la page de la social-démocratie ». Pas en Allemagne, en tout cas…

 

Déception au Chili… Né d’un vaste mouvement social et de la victoire de la gauche à la présidentielle, le projet de constitution progressiste prévu pour remplacer le texte fondamental issu de la période Pinochet a été rejeté à quelque 60% de majorité. Très mauvaise nouvelle pour les Chiliens les plus pauvres et pour les minorités indigènes, auxquels le nouveau texte conférait de nouveaux droits. À lire les analystes du scrutin, les partisans du « apruebo » (« j’approuve ») n’ont pas su rallier par des concessions pertinentes les électeurs du centre et du centre-gauche désorientés par la radicalité de certaines dispositions. Ainsi vont souvent les projets radicaux : par refus du compromis, ils restent dans les cartons. En attendant, le Chili garde la constitution réactionnaire de Pinochet.

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages