"L'unité, c'est moi !" - La lettre politique de Laurent Joffrin #25

Laurent Joffrin | 10 Novembre 2020

L’unité, c’est moi !

 

Mélenchon candidat, envers et contre tout, y compris la Covid… En plein pic épidémique, le lider maximo de la France insoumise annonce sur TF1 qu’il sera le candidat du peuple à l’élection présidentielle. Foin de l’unité, des accords, des discussions avec d’éventuels partenaires : Mélenchon voit les choses autrement. L’unité (comme la République…), c’est lui.

Sous cet angle, rien de plus unitaire que cette annonce. Après s’être concerté avec lui-même, il fait preuve d’une grande unité de pensée en estimant qu’il est l’unique candidat à pouvoir faire l’unité autour de son unique candidature. Pour faire admettre cette précieuse unicité dans l’unité, il a prévu d’organiser seul une sorte de primaire-pétition où il sera l’unique candidat, ce qui garantira le caractère unitaire de la démarche.

On comprend le raisonnement. Ayant abattu sa carte, il veut placer d’éventuels rivaux de gauche dans une impossible position. Mélenchon est candidat : à quoi bon songer à quelqu’un ou quelqu’une d’autre ? Tout impétrant supplémentaire, en brisant cette héroïque solitude, prendra, face à cet acte d’unité, le costume du gêneur fâcheux, du diviseur égoïste, du surnuméraire nuisible et, pour tout dire, du traître à la cause. Alors que LFI, après le succès de 2017, est retombée autour de 10% dans les scrutins suivants (6,3% aux dernières européennes). Alors que l’impopularité de Macron et l’effondrement d’En Marche ouvrent des perspectives à une gauche mieux rassemblée.

Cette démarche unique rencontre deux obstacles : Jean-Luc… et Mélenchon. Ils sont comme le moi et le surmoi, comme Docteur Jekyll et Mister Hyde. Jean-Luc Hyde, c’est le caractère, si important quand on prétend aux responsabilités suprêmes. C’est Jean-Luc atrabilaire, erratique, cyclothymique, qui perd ses nerfs parce qu’on enquête sur les finances de LFI, qui insulte l’adversaire, qui veut dégager tout le monde, qui crie au complot,  qui traite Charlie Hebdo de « bagagistes de Valeurs Actuelles », qui coiffe Angela Merkel d’un casque à pointe, qui voue l’Europe aux gémonies, qui soutient, perinde ac cadaver, le dictateur vénézuélien, qui parle du grand soir tous les matins, qui appelle à des manifestations où personne ne vient et s’aperçoit qu’il y a du monde quand il n’appelle pas. Il y a du Trump dans ce Jean-Luc-là. Un Trump de gauche ? C’est un oxymore.   

Et puis il y a Mélenchon-Jekyll, Mélenchon le politique, le républicain de longue date, le mitterrandiste, l’ancien ministre de Jospin. Avec ce Mélenchon-là, on pourrait discuter. Mais il ne le veut pas. On pourrait aussi poser des questions sur son programme. Changer d’emblée de République ? Il faut immobiliser la vie politique pendant un an au moins, le temps de réunir une Constituante qui proposera de supprimer l’élection du président au suffrage universel direct, et donc de priver les citoyens de leur principal moyen d’influer sur les affaires publiques. Est-ce bien nécessaire ? On peut amender la Ve, ce qui prend moins de temps et accroîtra par d’autres moyens le pouvoir des citoyens.

Mettre fin au libre-échange ? Mais que deviendront les travailleurs qui œuvrent pour l’exportation ? Il vaut mieux prévoir des protections ciblées, qui protègent les industries stratégiques et les régions fragiles. S’affranchir des règles européennes sur le déficit ou la politique monétaire ? C’est déjà fait. Dépenser une bonne centaine de milliards supplémentaires ? On vient de le faire peu ou prou. Mais on devra bien un jour faire des comptes avant d’aller plus loin.

Menacer de sortir des traités européens ? Peut-être, mais pour aller où ? Vers une politique strictement nationale ? Vers un « Frexit » ? Engrenage nationaliste qui tourne le dos à la tradition européenne de la gauche, à l’héritage de Mitterrand, à la coopération et, à terme, à la paix sur le continent.

Bref, tout cela s’évalue, se conteste, se discute, s’amende. Encore faut-il s’ouvrir sur une stratégie d’union, non une démarche unitaire, voire unilatérale. Hors de question pour le candidat solitaire : c’est à prendre ou à laisser. On laisse.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages