Affaire Bayou : la faute de Rousseau

Laurent Joffrin | 01 Octobre 2022

Un peu de rationalité, enfin, dans cette affaire Bayou qui empoisonne Europe-Écologie et, par contamination, toute la gauche. Après avoir exigé le retrait du secrétaire national accusé par Sandrine Rousseau, Yannick Jadot a demandé qu’il ne soit pas sanctionné, en tout cas pas dans l’immédiat. « À partir du moment où la cellule n'a pas rendu son travail, a-t-il dit, on n'a pas à sanctionner quand y a pas de dépôt de plainte, quand on ne sait pas de quoi la personne au fond est soupçonnée ou accusée, et que cette personne n'a pas pu se défendre. » Autrement dit, il fallait demander un retrait pour faciliter l’enquête interne, mais ce retrait ne saurait valoir condamnation. Il était temps de s’en apercevoir… Sans doute Jadot avait-il été informé des faits révélés samedi matin par Libération, et qui tendent à montrer que la commission interne des Verts n’est guère impartiale et que les accusations portées contre lui par Sandrine Rousseau sont tout sauf établies.

Cette affaire lamentable exige quelques rappels élémentaires. La lutte contre les violences faites aux femmes est un impératif majeur. Elle se fait devant la justice, mais aussi en vertu de procédures internes qui sont souvent nécessaires. Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, se trompe quand il dénonce « une justice privée », qui est en fait une justice interne. Tout organisme – entreprise, parti, association – obéit à des règles internes, encadrées par le droit commun mais plus précises que celui-ci. Dupond-Moretti devrait le savoir, puisqu’il était soumis à des règles de ce type comme avocat soumis comme les autres à la surveillance du Conseil de l’Ordre…  Si l’un des membres contredit notoirement les valeurs ou les règles qui régissent l’organisme, celui-ci est fondé à réagir et, dans le cas où la faute est établie, à décider une sanction (avertissement, suspension, exclusion dans les cas graves). Un prêtre qui proclamerait son athéisme en chaire serait à bon droit sanctionné par l’Église, un joueur de bridge qui serait convaincu de tricher aux cartes ne pourrait pas rester dans son club, le candidat d’un parti qui change soudain d’étiquette peut être exclu, etc. Il y a là bien une forme de « justice interne légitime », puisque ces comportements ne sont pas pénalement répréhensibles, mais qu’ils contredisent les valeurs du groupe auquel appartient le contrevenant.

Ainsi, s’il s’avérait que Julien Bayou a maltraité de toute évidence sa compagne par une forme de violence psychologique établie, et même si ce comportement ne tombe pas sous le coup de la loi, on voit mal que le parti Vert, en pointe dans la lutte féministe, puisse rester inerte.

En revanche, il est clair que ces procédures internes, qui existent dans tous les partis et toutes les associations, doivent, elles aussi, obéir à certains principes : procédure contradictoire, enquête impartiale, clarté et véracité des accusations, respect de la défense. Il serait d’ailleurs plus sain que ces cas soient traités par des instances indépendantes, dégagées des conflits internes qui traversent le parti ou l’association.

Faut-il rappeler qu’en matière de répression de la délinquance, c’est une position constante de la gauche (et pas seulement elle…), que d’appeler au respect des principes d’impartialité, à la mise en œuvre d’une procédure équitable, à la préservation des droits de la défense, de manière à éviter toute décision arbitraire, tout règlement de compte, toute forme de « justice populaire » ?


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Il est possible que Bayou, in fine, soit en fait coupable. Mais nous n’en savons rien à ce stade et les éléments sortis jusqu’à présent dans la presse suscitent plus de doutes que de certitudes. Il a donc le droit, en attendant le résultat de l’enquête, et avant que quiconque puisse se prononcer, de se défendre et d’être écouté devant l’instance chargée de son cas, ce qu’il n’a pas pu faire jusqu’à présent. Affaire de principe.

Toute choses qui semblent étrangères à l’univers mental de Sandrine Rousseau. Pasionaria d’une juste cause, la défense des femmes, elle a employé envers Julien Bayou un procédé notoirement injuste : dénonciation publique à la télévision, sans précaution, sans contradictoire, sans possibilité pour l’accusé de faire valoir le moindre argument. Une simple mise au pilori, agressive et sans appel. Depuis quand ces méthodes font-elles partie de la culture politique légitime de la gauche ? Serions-nous revenus aux beaux temps du léninisme, quand on justifiait par la grandeur de la cause l’emploi de moyens rhétoriques immoraux et mensongers ?

Ce genre d’outrance, utilisée par une députée et cheffe de file nationale d’un parti de gauche, est évidemment du pain bénit pour la droite et l’extrême-droite. À jouer les Fouquier-Tinville du féminisme, Sandrine Rousseau dessert sa cause, nuit à son parti et met sur la défensive la gauche tout entière. Mais n’est-ce pas le péché permanent de la radicalité, que de fournir sans cesse des armes aux ennemis de la gauche ?



Crédit photo :  La Libre.be


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Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages