Biden, la rupture - Lettre politique #77

Laurent Joffrin | 01 Avr. 2021

Serait-ce le grand tournant ? Catalogué « centriste », Joe Biden vient de rompre avec quarante années de politique peu ou prou libérale. 

En proposant un deuxième plan de relance massif, celui-ci destiné à rénover les infrastructures états-uniennes (routes, ponts, etc.), il donne le clair sentiment de vouloir restaurer l’ère du « big government » récusée dans les années 1980 par son lointain prédécesseur Ronald Reagan, rejetée tout autant par les deux Bush, père et fils, et dont Bill Clinton et Barack Obama, quoique démocrates, se tenaient en fait à distance. Ce nouveau plan – « horresco referens » aux États-Unis – sera financé en grande partie par une augmentation des impôts sur les entreprises et sur les hauts revenus.


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Tout cela mérite prudence : les démocrates de gauche comme Alexandria Ocasio-Cortez jugent les montants insuffisants (ils sont pourtant rondelets, pour le moins) ; Biden devra surtout faire avaliser sa stratégie par un Congrès où sa majorité est étroite. Il devra surmonter l’obstruction prévisible des républicains qui détiennent la moitié des sièges au Sénat. Faut-il anticiper une « révolution rooseveltienne » ou « johnsonienne » ? Attendons.

L’important est que cette rupture ne tient pas seulement à l’évolution idéologique du Parti démocrate, qui retourne à sa tradition après deux ou trois décennies de « troisième voie » à la Clinton. Elle est imposée par la réalité. Les défis du XXIe siècle ne seront pas relevés par un « État minimal » où la puissance publique se met en retrait et laisse le marché pourvoir à tout ou presque. Équipement et réindustrialisation du pays, santé pour tous, transition écologique, meilleure distribution des richesses après quarante années de « ruissellement », promesse jamais tenue, sinon par un « ruissellement vers le haut », c’est-à-dire vers les plus riches : ces réformes urgentes supposent une intervention collective raisonnée, ferme et volontaire. Aux antipodes, donc, de la « révolution conservatrice » qui a dominé la scène depuis les années 1980. La réalité, en somme, appelle des solutions de gauche. Encore faut-il que la gauche sache les faire prévaloir en bâtissant un programme crédible et en désignant une personnalité capable de gagner une élection nationale. Ce qu’a fait le Parti démocrate en désignant Biden, candidat à la fois rassurant et actif. La gauche française doit en prendre exemple.

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages