Biden le résilient

Laurent Joffrin | 10 Novembre 2022

« La prévision est un art difficile, disait Winston Churchill, surtout quand elle concerne l’avenir ». Cette forte maxime vient de trouver une nouvelle confirmation avec le résultat (incomplet) des élections américaines de mi-mandat. Avant le scrutin, la tonalité générale des commentaires laissait augurer une sévère défaite des démocrates et un retour en force du trumpisme. Biden, disait-on, trop vieux et sans charisme, est handicapé par une inflation galopante ; Trump bénéficie des craintes liées à l’immigration ; il profite de la montée continue de l’irrationalité dans le débat public américain et des avancées du « wokisme » qui inquiètent la classe moyenne blanche aux États-Unis. À vrai dire, ces considérations, souvent péremptoires, étaient alimentées par les sondages plus que par une analyse pertinente des tendances à l’oeuvre dans la société américaine, au demeurant difficiles à mesurer. Or chacun sait que les enquêtes d’opinion nationales ne sont guère fiables aux États-Unis, en raison de la taille du pays et de la division de l’élection en autant de scrutins locaux.

Si bien que le résultat a une nouvelle fois pris les commentateurs à contrepied. Biden résiste bien mieux que prévu et le retour de Trump n’a rien d’irrésistible. L’inflation devait gouverner la motivation des électeurs ; or les décisions de la Cour suprême visant à nier le droit des femmes ont mobilisé les électeurs démocrates, tandis que le bas niveau du chômage favorisait la majorité en place. La politique Biden, en dépit des gaffes du président et de son image chancelante, a marqué des points. Le président démocrate a remis les États-Unis sur la voie de la lucidité écologique après le déni trumpiste et lancé un vaste plan d’investissement dans les infrastructures du pays. Son plan de relance, sans doute excessif, a néanmoins profité aux classes moyennes et maintenu l’emploi à un niveau très élevé. L’appel à la défense des valeurs démocratiques, renforcé par les interventions véhémentes de Barack Obama, a touché le cœur de l’électorat plus qu’on ne l’espérait. Une nouvelle fois, les politiques de centre-gauche rallient les électeurs et paraissent mieux adaptées à la réalité politique - et écologique – que les philippiques réactionnaires d’une droite radicalisée.


La lettre politique de Laurent Joffrin | S'abonner


Le risque serait maintenant de commettre une erreur symétrique. Quoique dans des proportions moindres qu’à l’ordinaire, la majorité en place a perdu ces élections de midterms. Les Républicains reprennent le contrôle de la Chambre des Représentants et les Démocrates ne sont pas sûrs de conserver leur courte majorité au Sénat. L’irrationalité et les « vérités alternatives » diffusées par les réseaux sociaux continuent d’infester le débat public. En dépit de ses mensonges répétés, ou à cause d’eux, Donald Trump garde une influence délétère sur le Parti républicain. Ceux qui voudraient lui succéder, quoiqu’un peu plus présentables, sont aussi réactionnaires que lui, tel le gouverneur de Floride Ron DeSantis. Joe Biden aura du mal à faire accepter ses projets et court le risque de l’immobilité forcée face à un Congrès dominé par la droite. Menteur compulsif, adepte d’une rhétorique ouvertement factieuse, Trump garde une force politique redoutable. Les États-Unis ont échappé au pire. Mais la démocratie y reste en balance, minée par le raidissement réactionnaire des classes moyennes et populaires blanches.

 

Crédit photo : Sipa/AP/Susan WALSH pour  Dernières Nouvelles d'Alsace


ET AUSSI

 

Ruffin réformiste

Dans l’Obs, François Ruffin se découvre « social-démocrate ». Il y a certes une pirouette dans cette conversion : le député picard explique que les socialistes ne sont plus ni sociaux, ni démocrates, et donc qu’il reprend le flambeau. Sa posture reste polémique envers la gauche réformiste. Il n’empêche : les mots ont un sens. Ruffin en convient, puisqu’il fait l’éloge du compromis, des réformes partielles mais précieuses aux classes populaires. « Un monde meilleur, ou juste moins pire, ce ne serait déjà pas si mal ! ». Tout arrive, donc… Ruffin reconnaît qu’une politique imparfaite qu’on met en œuvre vaut mieux qu’une politique idéale, radicale, rêvée, qui n’entre jamais en application. Voilà qui ne plaira pas à la France insoumise. Les réformistes disent cela depuis toujours : plutôt que d’ironiser, saluons cette conversion tardive mais positive.

 

Le SPD contre les riches

On glose beaucoup sur les différends franco-allemands. On devrait aussi analyser plus finement les changements à l’œuvre dans la politique allemande sous l’impulsion des sociaux-démocrates d’Olaf Scholtz. Voici en effet que le « conseil des sages » qui seconde le gouvernement fédéral vient de proposer d’imposer nettement plus les classes riches pour financer, entre autres, la mutation écologique. Soucieux de limiter le déficit, le conseil estime que les allègements fiscaux destinés à limiter les conséquences de la crise énergétique ont indûment profité aux classes supérieures et propose en conséquence une « taxation temporaire » des plus hauts revenus. Les libéraux sont contre mais le SPD approuve. Rien n’est joué, donc. Mais les choses bougent… 

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages