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À quoi servent les black blocs - Lettre politique #39
Aux gouvernements inquiets des manifestations, aux ministres angoissés par l’hostilité que rencontre telle ou telle mesure, aux majorités qui craignent la protestation, voici des auxiliaires précieux, des alliés inattendus, des faux ennemis qui permettent aux gouvernants de discréditer l’opposition : les black blocs.
La lettre politique de Laurent Joffrin #39 | S'abonner
C’est devenu un rituel français, on en a encore eu l’exemple samedi dernier : à chaque fois qu’une partie de l’opinion décide de manifester pacifiquement pour contester telle ou telle mesure, tel ou tel projet de loi, telle ou telle injustice, une troupe informelle mais bien entraînée vient polluer les défilés tranquilles, imposer sa violence, détourner les cortèges démocratiques pour attaquer la police, détruire le mobilier urbain, défoncer les vitrines de braves commerçants qui n’en peuvent plus.
Contre la volonté des manifestants, ces violences émeutières changent fallacieusement le droit de manifester en vaine offensive contre la légalité républicaine. Les manifs sont détournées, dégradées, discréditées par des semi-professionnels de l’émeute, qui jouent à la guérilla urbaine puis prennent la fuite à toutes jambes.
Cette guéguerre urbaine permet au pouvoir de crier à l’agression, de dénoncer l’anarchie violente, de rallier l’opinion choquée par les déprédations et de maintenir ses projets de loi ou ses décisions en arguant, par comparaison, de sa légitimité démocratique. Les défenseurs des libertés contestent tel ou tel projet ? Les organisations de gauche contestent une proposition de loi qui fait planer le spectre d’une censure des images, qui restreint la diffusion des vidéos montrant les violences policières ? Ouf ! Les black blocs arrivent. Sans qu’on ait besoin de le leur demander, ils défoncent quelques vitrines, brûlent des voitures, jettent des pierres – de loin – contre des barrages de pandores et s’attaquent aux policiers quand ils sont à terre, puis prennent leurs jambes à leur cou et se dissimulent dans quelque renfoncement pour se débarrasser de leur uniforme noir et enfiler la tenue plus colorée du citoyen de base. La bonne affaire ! Le pouvoir contesté se change en défenseur de la démocratie. Le gouvernement qu’on dit vouloir attaquer est aussitôt conforté. Tel est le rôle involontaire de ces guerrilleros au petit pied qui sont surtout les idiots utiles de tous les pouvoirs.
Adeptes de l’anarchie, héritiers prudents de Marx et de Bakounine, ils ont une cible privilégiée : les abribus, symbole à leurs yeux, on le suppose, du capitalisme sauvage. N’écoutant que leur courage, ils abattent à coups de barre de fer ces cahutes destinées à protéger les usagers des transports publics contre les intempéries. Peut-être ces abris débonnaires leur semblent-ils l’exemple même de l’oppression marchande. Ou bien ces trois parois fragiles, qu’on quitte pour un autobus qui ferme ses portes au démarrage, leur rappellent-elles les cachots où un pouvoir arbitraire enfermait jadis les mauvais sujets. On prenait naguère la Bastille. On abat désormais les abribus. Moins risqué…
Au fond, les gouvernements contestés devraient en tirer la leçon : prévoir un fonds spécial destiné à subventionner discrètement l’action de ces rebelles si commodes, de manière à salir systématiquement les opposants, à discréditer toute manifestation, à inquiéter le bourgeois – ou le démocrate – et à faire passer dans le feu de la polémique tout projet de loi, serait-il le plus contestable. Avec cette leçon en prime : les black blocs s’opposent en principe au « système ». Ils en sont les meilleurs supplétifs.