Où sont passés les cahiers de doléances ? - Lettre politique #35

Laurent Joffrin | 30 Novembre 2020

Ce fut un succès embarrassant pour la macronie et on la soupçonne de vouloir le reléguer aux oubliettes. Nous étions en décembre 2018, Emmanuel Macron ne savait comment apaiser le mouvement des gilets jaunes déclenché par un renchérissement des carburants. On avait eu beau annuler la hausse, puis annoncer des mesures sociales pour plus de 10 milliards d’euros, rien n’y faisait : les gilets jaunes voulaient bien plus, leurs revendications portaient sur les impôts, les services publics, l’intervention des citoyens dans la décision politique et traduisaient un virulent rejet de la personne d’Emanuel Macron. Le président avait alors sorti de son chapeau le « Grand Débat », auxquels les Français étaient conviés, tout comme il étaient invités à rédiger, tel en 1789, des « Cahiers de Doléances ».


La lettre politique de Laurent Joffrin #35 | S'abonner


On crut un moment à une simple diversion. L’attention des médias quitta un instant les ronds-points et Emmanuel Macron en profita pour tenir des réunions populaires où il pouvait faire montre de sa maîtrise rhétorique et technique. Mais bientôt la participation populaire à ces discussions, organisées souvent par les mairies, se révéla significative. Au total, plus de 10 000 réunions se sont tenues dans tout le pays, plus de 16 000 communes ont ouvert des « cahiers citoyens », la plate-forme en ligne reçut presque 2 millions de contributions qui forment un ensemble de 630 000 pages. Destiné à noyer le poisson pour détourner les manifestants de la rue, le « Grand Débat » devint un phénomène démocratique.

Une première synthèse a été livrée à Emmanuel Macron dès janvier 2019, sur laquelle il s’est appuyé pour annoncer diverses réformes. La deuxième a été réalisée en avril par trois cabinets de conseil indépendants. Il en ressort, à grands traits, que les Français demandent plus de justice sociale, une fiscalité plus légère et plus équitable, un État protecteur présent sur l’ensemble du territoire, une action écologique rapide. Ils exigent aussi une plus grande participation à l’action publique et sont intransigeants sur l’exemplarité des élus.

Pourtant cette base documentaire d’une grande richesse reste inaccessible au public, sinon à l’échelle départementale et sur papier, ce qui rend leur consultation malaisée aux citoyens et lourde d’usage pour les chercheurs. D’où la pétition lancée par Didier Le Bret et un collectif d’universitaires, de chercheurs et de jeunes du monde associatif sur change.org, qui demande la mise en ligne de ces données démocratiques essentielles, bien plus massives que n’importe quel sondage et qui dessinent en creux, sinon un projet de société, du moins des orientations très claires. Lesquelles ne sont pas forcément celles du gouvernement, ou bien leur sont exactement contraires (sur le rétablissement de l’ISF, par exemple).  

L’Histoire se répète parfois, sur un mode mineur. Tel Louis XVI, Emmanuel Macron a demandé au bon peuple de formuler ses demandes. Mais ces vœux vont bien au-delà de ce qu’il anticipait. Voyant dans les cahiers de doléances une politique contraire à la sienne, il rechigne à les prendre en compte. La comparaison entre les cahiers et la politique effectivement menée serait pourtant éclairante pour l’opinion. Serait-ce l’explication réelle de ce manque de transparence ?

* Pour lire et signer la pétition en ligne « Rendez les doléances ! », cliquez ici.

Laurent Joffrin

À propos de

Président du mouvement @_les_engages