Donc, tout est joué ? - Lettre politique #114

Laurent Joffrin | 14 Octobre 2021

La macronie, dit-on, est en pleine euphorie. Constatant l’inanité des oppositions – droite inconsistante, extrême-droite coupée en deux, gauche éparpillée – elle juge la partie gagnée avant d’avoir commencé et se plaît à bâtir toutes sortes de châteaux politiques en Espagne.

Les excellences macroniennes imaginent déjà l’architecture du prochain quinquennat Macron. Constatant l’inanité de la République en Marche (LREM), incapable de s’implanter en ville comme en campagne, devenue un couteau sans manche auquel il manque la lame et dont la survie repose sur le seul président de la République, elles cherchent à se redistribuer les places. Fort de sa popularité, Édouard Philippe lance un parti de centre-droit pour préparer 2027, en prétextant « élargir la majorité de Macron » (les mots mêmes d’Emmanuel Macron à François Hollande le jour du lancement d’En Marche en avril 2016) ; François Bayrou se voit déjà en Joe Biden du centre, arguant de sa sagesse de patriarche pour briguer au coup suivant la succession d’un Macron réélu ; une partie de la droite, à l’image de Christian Estrosi, maire de Nice, déclare son désir de voler au secours de la victoire pour prendre toute sa place dans le prochain régime et certains socialistes ne sont pas loin de les imiter, etc.


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Comme les macroniens le font de la victoire, les oppositions intériorisent la défaite. Tout se passe comme s’il fallait désormais penser non à 2022 mais à 2027, comme si les défaites cinglantes préparaient par nature les victoires éclatantes. Pour s’installer dans le paysage, Zemmour veut régler son compte à Marine Le Pen qu’il juge trop modérée et trop sociale, tandis que celle-ci cherche à garder son impérium sur l’extrême-droite en échouant contre Macron au second tour avec un meilleur score. Mélenchon se présente non pour gagner mais parce qu’il veut laisser à la postérité un message de radicalité et une formation en état de marche ; Fabien Roussel, candidat du PCF, veut prolonger la spectrale existence de son parti après la présidentielle ; le parti écologiste, qui sent son heure venue à défaut de croire à la victoire, veut venger trois décennies de préséance socialiste en infligeant au PS une humiliation symétrique et provoquer, si possible, sa disparition, non pour l’emporter mais pour prendre la tête de l’opposition ; la direction du PS soutient Anne Hidalgo tout en critiquant publiquement sa campagne, apparemment prête à rallier Yannick Jadot en échange d’un accord aux législatives qui lui assurerait la survie. À l’inverse du proverbe, tous ces paladins de l’échec pensent qu’un tiens vaut moins que deux tu l’auras.

Pour ces vaincus d’avance, un président proclamé élu dans tous les sondages depuis des lustres, confronté à des adversaires en miettes, soutenu par une reprise économique vigoureuse (quoiqu’inférieure à la récession de 2020 et ne la compensant donc pas encore, contrairement aux Etats-Unis) et une baisse du chômage qui prolonge en fait le mouvement initié à la fin du quinquennat Hollande, ne peut pas être battu. Si bien que l’élection de 2022 prend un tour surréaliste, tel un match truqué où les adversaires font semblant de s’affronter tout en connaissant déjà le résultat, où les calculs des uns et des autres ressortissent moins de la stratégie immédiate que du roman d’anticipation. Au ce compte-là, on pourrait gagner du temps et économiser de l’argent en annulant l’élection et en déclarant Macron élu dès aujourd’hui.

Terrible résignation. Sur trente ans, la plupart des sondages effectués six ou sept mois avant l’échéance n’ont pas annoncé le résultat final ; « les deux seuls Présidents de la Ve République réélus par le peuple pour un second mandat l’ont été au terme d’une période de cohabitation, donc comme une volonté d’alternance ; le macronisme laisse un bilan faible et une France divisée comme jamais et surendettée (115,6% du PIB), favorisé surtout par le rattrapage consécutif mais encore imparfait à l’arrêt de l’économie pour cause de pandémie et par la faiblesse de ses adversaires. Les ennuis de Marine Le Pen ont abaissé le « ticket d’entrée » pour le second tour aux alentours de 17%, ce qui ouvre une brèche. Bref, cette partie qu’on pense terminée avant d’avoir commencé reste hautement incertaine. Au vrai, comme le montre l’équipée Zemmour, cet échiquier politique qu’on croit figé est instable comme un esquif dans la tempête. L’opinion, surtout, se déterminera, comme toujours, dans les dernières semaines de la campagne. Il reste donc six mois pour la convaincre. Encore faut-il être convaincu soi-même. Croire à ses propres idées : c’est ce qui manque le plus aujourd’hui. 

Laurent Joffrin

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Président du mouvement @_les_engages